L’homme est un animal raisonnable. S’il est une assertion sur laquelle presque tous les philosophes s’entendent, c’est bien celle-ci. Et pourtant, j’ai toujours eu de sérieuses réserves face à cet énoncé. Je lui préfère, et de loin : l’homme peut être un animal raisonnable.

En effet, si certaines personnes agissent raisonnablement, d’autres agissent de manière totalement déraisonnable. À preuve, en dépit de toute l’information concernant les effets délétères de la consommation du tabac et de la malbouffe, des dangers de l’obésité, de l’alcoolisme et de la toxicomanie, il existe des gens qui persistent dans ces habitudes nocives, voire mortelles. Il ne s’agit pas ici d’un jugement moral, mais d’un simple constat qui corrobore l’idée selon laquelle l’homme n’est pas toujours un animal raisonnable. En effet, les humains sont très souvent mus par leurs passions et leurs intérêts et, lorsque la raison s’oppose aux passions et aux intérêts, ces derniers sont très souvent victorieux.

Il en va de même pour la pensée. Certaines personnes cherchent à se forger des jugements éclairés et basés sur la raison. Ils s’informent, doutent, discutent et ajustent leurs points de vue afin d’obtenir une pensée étayée par des arguments solides et qui soit la plus juste possible. Ils ne redoutent pas leurs adversaires, bien au contraire, ils modulent et affinent leur pensée à leur contact. Évitant tout dogmatisme, leur pensée progresse sans craindre le questionnement.

À l’inverse, d’autres se bâtissent une forteresse d’opinions infondées et inébranlables, qu’il serait plus judicieux d’appeler « préjugés ».

Par paresse et étroitesse d’esprit, ils s’accrochent frileusement à leurs opinions, car les mettre en doute serait insécurisant. Leurs points de vue reposent souvent sur des idées reçues qu’ils n’ont jamais remises en question ou des opinions issues de leurs passions ou de leurs intérêts : par exemple, la peur de l’altérité peut conduire à la misogynie ou au racisme, comme les choix politiques varient suivant les avantages que promettent les différents partis. Bref, ces points de vue n’ont rien à voir avec la raison. Dogmatiques, ils se croient dépositaires de la vérité et tout opposant est dans l’erreur. Le dialogue devient impossible, car ils confondent certitude et vérité. Or, ce n’est pas parce que l’on croit fermement à quelque chose que cette chose est vraie. Loin de là.

De la dangerosité de certaines opinions

Certaines opinions qui échappent à la raison sont inoffensives. Mais d’autres peuvent brimer autrui, semer l’insécurité et la haine, nuire au bien commun, voire devenir criminelles. Dans de tels cas, il n’est plus temps de dire « chacun a droit à ses opinions ». L’histoire, passée et récente, nous offre trop de preuves de la dangerosité de certaines opinions. C’est le cas des nazis et des néonazis, des esclavagistes et des suprémacistes, bref des xénophobes et des racistes de tout acabit. Il ne s’agit plus de simples individus exprimant leurs avis, mais des êtres porteurs d’idéologies odieuses et menaçantes qui ont généré d’innombrables crimes contre l’humanité… et continuent d’en générer.

Dans une moindre mesure, les complotistes qui affirment que la COVID-19 est une chimère ne font pas qu’exprimer leur opinion. Ce sont des gens dangereux qui, par leurs dires et leurs comportements, nuisent au bien-être collectif. Comment contrer ces gens ? Discuter avec eux et les convaincre ? Je ne crois pas. La discussion avec des complotistes est vaine, car si le discours de la science, si les millions (plus de 30 millions) de gens contaminés et les décès (bientôt 1 million) ne les ébranlent pas dans leurs convictions, comment peut-on penser qu’une discussion rationnelle soit possible ? Ce serait de l’angélisme.

Bien que je sois favorable à la liberté d’expression et aux débats d’idées, lorsqu’une poignée de citoyens mettent en péril la santé de leurs concitoyens et qu’il est impossible de s’adresser à leur raison, il faut alors s’adresser à une passion présente chez tout être humain : la peur.

Plusieurs bons citoyens respectent le Code de la route pour ne pas avoir d’amendes, d’autres paient leurs impôts par peur des inspecteurs du fisc, et c’est normal, car comme le dit le philosophe Hobbes, la peur est une passion nécessaire à la vie en société.

En effet, se fier au seul jugement des hommes serait trop risqué puisque chaque individu est souvent dominé par des passions qui entrent en conflit avec le bien commun. Si la peur des représailles est une passion salutaire en société et une motivation pour le citoyen modèle, pourquoi ne pas s’en servir contre les contrevenants ?

Les revendications des antimasques et leur conduite dangereuse ne constituent pas de simples opinions, mais un danger public qui participe à la propagation d’un virus mortel. Sévir dans de tels cas, ce n’est pas brimer les libertés de certains individus, mais protéger l’ensemble de la société. Des sanctions sévères risquent d’avoir plus d’impact qu’un semblant de dialogue.

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