La pandémie du coronavirus a démontré de façon frappante le besoin urgent d’une plus grande coopération internationale pour faire face à toutes les menaces majeures affectant la santé et le bien-être de l’humanité.

La menace d’une guerre nucléaire est la plus importante d’entre elles. Le risque de détonation d’une arme nucléaire aujourd’hui – que ce soit par accident, par erreur de calcul ou de conception – semble s’accroître avec le déploiement récent de nouveaux types d’armes, l’abandon d’accords de contrôle des armements mis en place depuis de nombreuses années et le danger bien réel de cyberattaques sur des infrastructures nucléaires. Nous devons tenir compte des avertissements des scientifiques, des médecins et des nombreux experts. Nous ne devons pas fermer les yeux sur une crise d’une ampleur encore plus grande que celle que nous connaissons cette année.

Il n’est pas difficile d’imaginer qu’une rhétorique belliqueuse et un mauvais jugement de dirigeants d’un État disposant d’armes nucléaires pourraient aboutir à une calamité affectant toutes les nations et tous les peuples. Comme anciens dirigeants, ministres des Affaires étrangères et ministres de la Défense de l’Allemagne, de l’Albanie, de la Belgique, du Canada, de la Croatie, de la Corée du Sud, du Danemark, de l’Espagne, de la Grèce, de la Hongrie, de l’Islande, de l’Italie, du Japon, de la Lettonie, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal, de la Slovaquie, de la Slovénie, de la Tchéquie et de la Turquie, États qui exigent d’être protégés par les armes nucléaires d’un allié, nous appelons nos dirigeants actuels à faire progresser le désarmement avant qu’il ne soit trop tard. Un premier pas évident que les responsables de nos pays respectifs devraient réaliser serait de déclarer sans réserve que les armes nucléaires ne servent aucun objectif militaire ou stratégique légitime, compte tenu en cas d’utilisation des conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques. En d’autres termes, nos pays doivent rejeter tout rôle des armes nucléaires dans notre défense.

En revendiquant le besoin d’être protégé par des armes nucléaires, nous encourageons une croyance dangereuse et erronée selon laquelle ces armes renforcent la sécurité.

Plutôt que de permettre le progrès vers un monde sans armes nucléaires, nous l’entravons et perpétuons les dangers, tout cela par crainte de contrarier nos alliés qui se cramponnent à ces armes de destruction massive. Mais les amis peuvent et doivent s’exprimer lorsque leurs amis adoptent un comportement imprudent qui met les vies de tous en danger.

Il ne fait aucun doute qu’une nouvelle course aux armements nucléaires est en cours et qu’une course au désarmement est nécessaire de toute urgence. Il est temps de mettre un terme définitif à l’ère de la dépendance aux armes nucléaires. En 2017, 122 pays ont pris une mesure courageuse et attendue depuis longtemps dans cette direction en adoptant le traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), accord mondial historique qui place les armes nucléaires sur un pied d’égalité juridique que les armes chimiques et biologiques et qui établit un cadre pour les éliminer de manière vérifiable et irréversible. Ce traité va bientôt devenir une législation internationale contraignante.

À ce jour, nos pays ont choisi de ne pas se joindre à cette majorité d’États pour soutenir ce traité. Mais nos dirigeants devraient reconsidérer leur position. Nous ne pouvons pas nous permettre de tergiverser face à cette menace existentielle pour l’humanité.

Nous devons faire preuve de courage et d’audace et adhérer au traité. En tant qu’États parties, nous pourrions rester dans des alliances avec des États dotés de l’arme nucléaire, car rien dans le traité lui-même, ni dans nos accords de défense respectifs, ne s’y oppose. Mais nous serions juridiquement tenus de ne pas aider ou encourager nos alliés à utiliser, menacer d’utiliser ou posséder des armes nucléaires. Étant donné le très large soutien populaire au désarmement dans nos pays respectifs, ce serait une démarche non contestée et même très applaudie.

Le traité d’interdiction est un renforcement important du traité sur la non-prolifération nucléaire (TNP), qui date d’un demi-siècle et qui bien qu’il ait remarquablement réussi à freiner la prolifération des armes nucléaires dans un grand nombre de pays, n’a pas réussi à établir un tabou universel contre la possession de ces armes. Les cinq pays qui possédaient des armes nucléaires au moment de la négociation du TNP – les États-Unis, la Russie, la Grande-Bretagne, la France et la Chine – semblent le considérer comme une autorisation pour conserver de manière perpétuelle leurs forces nucléaires. Au lieu de désarmer, ils investissent massivement dans l’amélioration de leurs arsenaux, avec des projets pour les garder pour de nombreuses décennies. Ceci est tout à fait inacceptable.

Le traité d’interdiction adopté en 2017 peut contribuer à mettre fin à des décennies de paralysie en matière de désarmement. C’est une lueur d’espoir dans une période de ténèbres. Il permet aux pays de souscrire à la norme multilatérale actuellement la plus élevée contre les armes nucléaires et de mettre en place une pression internationale. Comme le reconnaît le préambule du TIAN, les effets des armes nucléaires « transcendent les frontières nationales, ont des répercussions profondes sur la survie de l’humanité, l’environnement, le développement socioéconomique, l’économie mondiale, la sécurité alimentaire et la santé des générations actuelles et futures et touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles, notamment en raison des effets des rayonnements ionisants ».

Avec près de 14 000 armes nucléaires réparties sur des dizaines de sites à travers le monde et dans des sous-marins qui patrouillent dans les océans en permanence, la capacité de destruction dépasse l’imagination. Tous les dirigeants responsables doivent agir maintenant pour que les horreurs de 1945 ne se répètent plus jamais. Tôt ou tard, notre chance s’épuisera – sauf si nous agissons. Le traité sur l’interdiction des armes nucléaires jette les bases d’un monde plus sûr, libéré de cette ultime menace. Nous devons l’adopter dès maintenant et nous efforcer d’obtenir de nouvelles adhésions. Il n’y a pas de remède à une guerre nucléaire. La prévention est notre seule option.

*Signataires : Lloyd Axworthy, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada; Jean-Jacques Blais, ancien ministre de la Défense du Canada; Kjell Magne Bondevik, ancien premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Norvège; Ylli Bufi, ancien premier ministre de l’Albanie; Jean Chrétien, ancien premier ministre du Canada; Willy Claes, ancien secrétaire général de l’OTAN et ministre des Affaires étrangères de Belgique; Erik Derycke, ancien ministre des Affaires étrangères de Belgique; Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Allemagne; Franco Frattini, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Italie; Ingibjörg Sólrún Gísladóttir, ancien ministre des Affaires étrangères d’Islande; Bjørn Tore Godal, ancien ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense de Norvège; Bill Graham, ancien ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense du Canada; Hatoyama Yukio, ancien premier ministre du Japon; Thorbjørn Jagland, ancien premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Norvège; Ljubica Jelušič, ancienne ministre de la Défense de Slovénie; Tālavs Jundzis, ministre de la Défense étrangère de Lettonie; Jan Kavan, ancien ministre des Affaires étrangères de la République tchèque; Alojz Krapež, ancien ministre de la Défense de Slovénie; Ģirts Valdis Kristovskis, ancien ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense de Lettonie; Aleksander Kwaśniewski, ancien président de la Pologne; Yves Leterme, ancien premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Belgique; Enrico Letta, ancien premier ministre italien; Eldbjørg Løwer, ancien ministre de la Défense de Norvège; Mogens Lykketoft, ancien ministre des Affaires étrangères du Danemark; John Mccallum, ancien ministre de la Défense du Canada; John Manley, ancien ministre des Affaires étrangères du Canada; Rexhep Meidani, ancien président de l’Albanie; Zdravko Mršić, ancien ministre des Affaires étrangères de Croatie; Linda Mūrniece, ancienne ministre de la Défense de Lettonie; Fatos Nano, ancien premier ministre d’Albanie; Holger K. Nielsen, ancien ministre des Affaires étrangères du Danemark; Andrzej Olechowski, ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne; Kjeld Olesen, ancien ministre des Affaires étrangères et ministre de la Défense du Danemark; Ana Palacio, ancienne ministre des Affaires étrangères de l’Espagne; Theodoros Pangalos, ancien ministre des Affaires étrangères de Grèce; Jan Pronk, ancien ministre de la Défense (par intérim) des Pays-Bas; Vesna Pusić, ancienne ministre des Affaires étrangères de Croatie; Dariusz Rosati, ancien ministre des Affaires étrangères de Pologne; Rudolf Scharping, ancien ministre de la Défense de l’Allemagne; Juraj Schenk, ancien ministre des Affaires étrangères de Slovaquie; Nuno Severiano Teixeira, ancien ministre de la Défense du Portugal; Jóhanna Sigurðardóttir, ancienne première ministre d’Islande; Össur Skarphéðinsson, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Islande; Javier Solana, ancien secrétaire général de l’OTAN et ministre des Affaires étrangères de l’Espagne; Anne-Grete Strøm-Erichsen, ancienne ministre de la Défense de Norvège; Hanna Suchocka, ancienne première ministre de Pologne; Szekeres Imre, ancien ministre de la Défense de Hongrie; Tanaka Makiko, ancien ministre des Affaires étrangères du Japon; Tanaka Naoki, ancien ministre de la Défense du Japon; Danilo Türk, ancien président de la Slovénie; Hikmet Sami Türk, ancien ministre de la Défense de la Turquie; John N. Turner, ancien premier ministre du Canada; Guy Verhofstadt, ancien premier ministre de Belgique; Knut Vollebæk, ancien ministre des Affaires étrangères de Norvège; Carlos Westendorp y Cabeza, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Espagne

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