Désireux de m’éloigner du négativisme microbien ambiant, cette semaine, je veux vous parler d’un sujet plus relaxant : la pêche. En cause, le nouveau chef conservateur lance sa ligne au Québec. Armé des judicieux conseils des cousins de la désirée que sont les Deltell et Martel, il fait les yeux doux, se commet, complimente et chante la pomme. Mais le Québec est une Belle Province expérimentée qui hésite.

Elle sait que si elle succombe à la tentation, elle risque fort de rencontrer des pépins à trop ouvrir son cœur à quelqu’un qu’elle ne connaît ni d’Ève ni d’Adam. Elle en a vu d’autres avant Erin O’Toole qui, il faut le dire, est plus charmant que les prétendants conservateurs précédents venus nous chanter la sérénade sur des airs souvent un peu trop westerns, prêts à monter sur leurs grands chevaux si elle n’acceptait pas avec diligence le pétrole qu’ils lui proposaient avec leurs gros sabots. À la drague comme au racolage politicien, le manque de subtilité mène souvent à une occasion ratée de scorer et même au risque de se faire servir une claque. Le nouveau prétendant devra donc se méfier de quelques mots dans ses pick-up lines ou formules d’approche qui pourraient écourter le roucoulement prénuptial. Par exemple, « j’ai un gros pipeline à te passer, ma belle », ce n’est pas une poésie gagnante quand on cruise au Québec.

Bien conscient de ces risques de dérapage, M. O’Toole semble afficher un conservatisme moins social. Mais pour combien de temps ?

Combien de temps pourra-t-il rester visage à une face avant que ses commanditaires, dont Jason Kenney et les conservateurs sociaux, le talonnent et lui rappellent ce qu’il leur doit pour son élection à la tête du parti ?

La route sera loin d’être de tout repos pour le nouveau chef. Aussi, pour l’aider à affiner sa technique de séduction préélectorale, le biologiste marin en moi veut lui parler de pêche. Pourquoi cette approche halieutique ? Parce que la politique est une parade nuptiale, et le Québec, avec lequel il voudrait tenter un vrai rapprochement, mélange harmonieusement séduction et pêche dans sa parlure. Rappelons ici que « cruiser » signifie naviguer et « troller », c’est pêcher à la cuillère ou à la palangre. Cette dernière technique consiste à traîner une ligne garnie d’hameçons appâtés derrière un bateau en déplacement. Mais dans le même champ sémantique, il y a aussi la drague qui a le mérite de ne pas être un anglicisme. Le verbe draguer exprime le fait de racler le fond marin avec un engin de pêche. Lorsqu’il s’agit de pêche à la drague, l’objectif est de piéger, sans les trier, des animaux des fonds marins. Cette méthode pas très sélective se compare à celle d’un séducteur ou une séductrice qui, devant la perspective de dormir seul, abaissera graduellement ses critères de sélection lors d’une soirée bien arrosée. Il y a d’ailleurs une jolie maxime de mon coin de pays pour décrire ce phénomène : pour éteindre un feu, on n’a pas nécessairement besoin d’eau potable.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

Le nouveau chef du Parti conservateur du Canada, Erin O'Toole

Pour les conservateurs qui rêvent de pogner et ratisser un peu plus large au Québec, la drague peut être une option d’approche attirante. Pourtant, devant cette nation qui ne se laisse pas facilement accrocher par la droite et à l’humeur électorale imprévisible, je leur recommanderais plutôt d’y aller comme on pêche le capricieux saumon de l’Atlantique. Si ce saumon est difficile à séduire, c’est parce qu’en entrant dans les rivières pour frayer, il fait le jeûne. De ce fait, proposer une récompense au bout d’une ligne à ce salmonidé équivaut à servir un ragoût de pattes de cochon à un militant végane et antispéciste. C’est une entreprise de taille parce que ça l'intéressera aussi peu que beaucoup de Québécois devant un politicien mâle d’un certain âge qui, en 2020, pactise encore avec son boys club en faveur de l’appropriation utérine et contre les droits des minorités sexuelles. Sur ces dossiers-là, heureusement, la position de M. O’Toole, semble contraster avec celle de son prédécesseur.

Il faut aussi rappeler au nouveau chef que le poisson qu’il essaye de taquiner a été blessé de nombreuses fois dans le passé par des hameçons qui brillaient de mille fausses promesses.

On ne séduit pas un jeune saumon inexpérimenté de la même façon qu’une telle femelle qui effectue sa deuxième montaison de rivière. Ces spécimens, qui ont été souvent mystifiés et mutilés à la mâchoire, sont plus méfiants et insensibles aux simples flatteries du pêcheur qui rêve de les ferrer. Que voulez-vous ? Il arrive à celui qui a déjà été piqué par un serpent de se méfier de ses lacets à la brunante, disait mon grand-père. Pour piquer l’intérêt d’une telle prise potentielle, il faut être patient, respectueux et manœuvrer bien plus avec le cœur que l’esprit. Le Québec est un poisson avec lequel les appâts rouges, bleu pâle et même orange ont déjà fait mouche. Par contre, même s’il ne semble pas très sensible au bleu foncé, je crois que la version progressiste de cette nuance ne le laisse pas de glace. Mais on gagne à se rappeler qu’au moindre faux pas, il se peut que les rapprochements se terminent en queue de poisson. C’est ce qui est arrivé à Andrew Scheer. Il a offert un verre à la reine des rivières en espérant qu’elle mordrait à l’hameçon pour se rendre compte, en bout de ligne, que c’est elle qui le montait en bateau et que c’était lui le vrai poisson.

Tout pêcheur aguerri sait qu’on a beau être inventif dans les couleurs de la mouche et la façon de la présenter, la pêche au saumon reste du speed dating où la décision finale revient au poisson. C’est lui qui choisit quand, comment et avec lequel des prétendants qui font parader leurs plus beaux atours il va sortir.

Avec des libéraux qui naviguent à vue de nez en plein brouillard et tous ces scandales qui fuitent et les coulent pendant qu’on tente tous de maintenir notre barque à flot dans la tempête sanitaire, plusieurs n’ont rien contre l’idée de jeter PET Jr. à l’eau, mais ils craignent que l’histoire se répète et ils savent bien que le cas échéant, ce ne sera pas vraiment drôle. Mais bien malin celui qui peut prédire ce que fera le Québec, car en campagne électorale, il arrive que ce qu’on croyait être un saumon bien accroché se métamorphose en anguille et glisse entre les mains du pêcheur qui avait trop confiance en ses moyens.

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