Cette semaine, j’ai pensé aux écrits de l’écologiste britannique James Lovelock, à qui on doit la popularisation de l’« hypothèse de Gaïa ». En 1970, ce climatologue et écologiste avant l’heure réactualisa le concept de Gaïa, qui était déjà présent dans la mythologie grecque. Gaïa, c’était la déesse Terre. Une superdivinité qu’on disait mère des dieux et des titans.

Dans la vision actualisée de Lovelock, la Terre et sa biosphère représentent un système physiologique dynamique qui favorise et maintient la vie sur notre planète depuis plus de 3 milliards d’années. Bien que Lovelock ne lui attribue ni émotion ou intelligence, dans son hypothèse, notre Terre mère est assimilée à une entité vivante, un superorganisme doué d’une capacité d’autorégulation. Pour garder cet équilibre indispensable à l’épanouissement de sa biodiversité constitutive, Gaïa doit constamment travailler à tempérer la chaleur provenant du Soleil à une intensité compatible avec la vie. Elle y arrive en misant sur le pouvoir thermorégulateur des nuages, des glaciers, des calottes polaires, mais aussi des océans et des forêts qui recouvrent une grande partie de sa surface. Malheureusement, depuis quelques décennies, confrontée en permanence à de violentes attaques de ses enfants terribles, et de plus en plus nombreux, que nous sommes, Gaïa doit lutter toujours plus fort pour que la composition chimique de son atmosphère reste compatible avec la vie. Ce vivant qu’on sait désormais exister même dans des endroits de la Terre où on ne soupçonnait pas sa présence.

Par exemple, on a découvert de la vie microscopique s’épanouissant généreusement dans les nuages jusqu’à 10 000 mètres d’altitude. Dans le nord-ouest des États-Unis, des chercheurs de l’Université de Washington ont ainsi répertorié à l’intérieur de ces masses d’air quelque 2100 espèces microbiennes, dont des bactéries, des levures et autres champignons. Que dire aussi de la gigantesque biodiversité découverte dans le plancher océanique, jusqu’à 2,5 km de profondeur ? Oui, la croûte terrestre aussi grouille de vie, particulièrement sous les océans. Les scientifiques estiment la biomasse de cette vie intraterrestre entre 15 et 23 milliards de tonnes de carbone. Ce qui est de 245 à 385 fois plus important que la biomasse humaine sur la Terre. Toutes ces nouvelles découvertes sont autant d’arguments en faveur de la théorie de Lovelock.

En 2006, Lovelock publie La revanche de Gaïa. Un bouquin que la pandémie a ramené dans les esprits et les librairies au mois d’avril.

Pour cause, dans cet ouvrage qui mélange écologie, sensibilisation et propositions pour améliorer la santé de la planète, l’auteur nous lance une mise en garde : la Terre pourrait réagir violemment pour se protéger des dérives de l’humanité qui menacent son intégrité depuis trop longtemps.

Il y a 2 milliards d’années, notre planète était jeune et vigoureuse, mais aujourd’hui, elle en arrache. Elle lutte très fort pour garder son homéostasie à cause de l’étoile qui brille par son absence de sagesse au-dessus du sapin généalogique de la création. Celui qui, selon Lovelock, est devenu le pire ennemi de notre superorganisme biosphérique.

PHOTO FABRICE COFFRINI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Mesures de protection « extrêmes » au parlement suisse, à Berne

L’humain est un tueur en série et massacreur à la tronçonneuse. D’ailleurs, cette semaine, principalement à cause des activités assassines de l’humanité, le Fonds mondial pour la nature (WWF) nous a appris que la planète a perdu plus des deux tiers de ses populations de vertébrés sauvages en moins de 50 ans. Il y a de quoi mettre Gaïa en ta… ! Pour éviter cette revanche imminente, l’auteur préconise, entre autres, un ralentissement démographique et une réduction substantielle de la prédation sauvage sur les ressources naturelles, dont évidemment les combustibles fossiles. Il est temps, disait-il déjà à l’époque, d’engager avec Gaïa un sérieux processus de paix. Sinon, il faut se préparer au pire. Lorsque le pire dont parle Lovelock arrivera, ce n’est pas une réclusion prolongée dans le sous-sol d’un bungalow, le port d’un masque ou des lavages répétés des mains qui nous sauveront. Tous ces mégafeux en Californie, en Australie, en Amazonie, en Sibérie, au Portugal, en Espagne, en Grèce et ailleurs, ne sont que de minuscules manifestations de cette revanche à venir.

Convaincu par cette hypothèse, il m’arrive de me demander si la Terre ne nous parle pas dans un langage qu’on ne cherche plus à décoder. Si ce virus était un avertissement envoyé aux humains par Gaïa pour demander un changement de paradigme.

Avez-vous déjà vu une maman qui aime et s’occupe de ses enfants sans jamais les chicaner pour leur montrer le droit chemin ? Ne voyez rien d’ésotérique ou de complotiste dans mon questionnement. J’essaye simplement de mélanger les deux héritages qui cohabitent intimement dans mon esprit. Je parle ici de la biologie qui y dialogue parfois avec le culte des ancêtres hérité de la tradition animiste de mes aïeux. Les virus sont nos ancêtres. En fait, jusqu’à il n’y a pas si longtemps, on pensait que la vie avait commencé sur la planète avec l’ADN comme réplicateur originel. Mais récemment, les travaux de Karin Mölling, professeure émérite à l’Université de Zurich, semblent démontrer que l’ARN est la première molécule capable de se répliquer. Ce qui ferait des virus à ARN comme le SARS-CoV-2 nos tout premiers ancêtres. Voilà pourquoi j’essaye de trouver dans cette pandémie un message de Gaïa nous réclamant un respect du caractère sacré de la biosphère.

Un message qu’il faut écouter avec humilité et sagesse et non prendre pour une déclaration de guerre à l’humanité. Comme me le rappelait au début de la pandémie le docteur Robert Béliveau, pour qui j’ai beaucoup d’estime, les dirigeants occidentaux ont accueilli le virus comme une déclaration de guerre. On a ainsi entendu les Trump, Macron, Johnson, Trudeau et autres aborder cette pandémie en parlant d’ennemie, de menace sur l’humanité, de guerre, d’attaque, d’armes, de défense et de victoire. Pourtant, ce besoin de mettre à genoux la nature, particulièrement poussé en Occident, fait bien plus partie du problème que de la solution. On en soupçonne un peu l’origine. « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la. Soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et toute bête qui remue sur la terre. » Ce passage de la Genèse semble être le texte fondateur de cette relation conflictuelle qui amène à déclarer la guerre à un virus. Pourtant, l’humilité et un sincère questionnement sur notre place dans la biosphère font partie de toute solution qui se veut durable.

Évidemment, il faut chercher des remèdes à cette maladie, mais si on l’interprète comme une simple guerre, la victoire ne nous protégera pas durablement d’un ennemi potentiel bien plus dévastateur que le SARS-CoV-2. Il y a quelques années, un programme scientifique intitulé PREDICT, financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), s’est donné pour mission de déterminer les souches de virus présentes dans les chauves-souris. À partir de ce projet de biosurveillance, les chercheurs ont évalué qu’il resterait de 360 000 à 460 000 nouvelles espèces de virus à découvrir chez les mammifères terrestres. Comment éviter la rencontre avec de plus puissants monstres potentiellement tapis dans cette biodiversité virale encore insondée ? Surtout en confinant un peu plus durablement l’humanité sur les plans économique, géographique et démographique. Bref, en témoignant plus de respect à Gaïa, comme le recommandait Lovelock.

Une question pour terminer. Le plan de reconstruction économique audacieux que nous promet Justin Trudeau, sera-t-il brun hydrocarbure ou vert ? Bien malin qui le sait, car sur le dossier environnemental, entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, l’incohérence n’est jamais loin. Que ferons-nous après la pandémie pour mettre en œuvre ce changement salutaire ? Allons-nous accélérer sur les machines et les combustibles fossiles pour rattraper le temps et l’argent perdus, ou profiter de l’occasion pour mettre en œuvre un vrai changement de modèle économique ? Comme dirait l’instructeur de conduite, ce ralentissement forcé n’est-il pas une belle occasion pour celui qui veut négocier un virage sans craindre de prendre le clos ?

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