Réflexion sur la symbolique des monuments à l’occasion du 40e anniversaire du mouvement Solidarność en Pologne.

Décembre 1990 : après 35 ans de règne soviétique, la Pologne entame une nouvelle ère démocratique avec l’élection de Lech Wałęsa, leader du mouvement Solidarność. Le mouvement est né le 31 août 1980, avec la signature de l’accord de Gdansk, qui ouvre la voie à la constitution des syndicats indépendants, et éventuellement au démantèlement du régime soviétique en Pologne 10 ans plus tard.

Ma mère profite de l’ouverture pour organiser un voyage de Noël en Pologne, enfin accessible au tourisme. Nous y avons de la famille de son côté : tantes et oncle, cousins et grands-parents.

Debout au milieu de la grande Place du défilé à Varsovie, je sors ma caméra pour prendre une photo du bâtiment majestueux qui domine la place.

« Range ta caméra », me souffle ma mère d’un ton ferme. Elle se place de façon à cacher ma caméra des yeux des passants. « C’est le bâtiment le plus haï du pays. »

Il s’agit du Palais de la culture et des sciences, érigé par Joseph Staline au début des années 50.

Dans les régimes communistes du bloc soviétique, les institutions œuvraient à défaire, à miner et à contrôler exactement ce qu’ils prétendaient défendre.

Ainsi, le ministère de la Culture et des Sciences était le haut lieu de propagande du pays, contrôlant les médias, supprimant tout message anticommuniste et empêchant l’expression des artistes et intellectuels polonais en faveur d’une conformité soviétique.

Trente ans plus tard, ce bâtiment existe encore, ayant survécu à la transition du régime communiste à la démocratie et à l’économie de marché. Il demeure un symbole fort d’un passé lourd, mais aussi du pouvoir d’un peuple de vaincre son oppresseur.

Là où jadis on luttait contre l’expression libre, on compte aujourd’hui un cinéma multiplex, quatre théâtres, deux musées, une salle de congrès et une université, ainsi que boutiques et restaurants. Une terrasse au 30e étage qui offre une vue panoramique de la ville est un grand attrait touristique ‒ selon certains citoyens, c’est parce qu’il s’agit du seul endroit en ville d’où l’on ne voit pas le bâtiment.

Selon Maciej Jakub Zawadzki, directeur créatif du cabinet d’architectes KAMJZ à Varsovie, « le Palais de la culture et de la science était un symbole de l’occupation et de l’oppression communistes. Beaucoup de gens aimeraient effacer complètement l’architecture réaliste socialiste du paysage urbain. »

Ce bâtiment historique suscite encore des émotions fortes chez la population, et certains groupes demandent sa démolition, notamment des groupes nationalistes et d’extrême droite qui y voient un souvenir de l’humiliation de la nation polonaise sous l’occupation.

Pour d’autres, le démolir ne ferait qu’effacer le symbole visible de l’héritage communiste, une période d’oppression pour le pays. L’impact de garder cette structure iconique et de transformer son utilisation est beaucoup plus éloquent.

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Avis à ceux qui souhaitent, en détruisant des monuments, forcer une réécriture de l’histoire du pays : l’histoire ne s’efface pas aussi vite. Elle tend à poursuivre son chemin dans le sang des générations.

Ici, au Canada, comme ailleurs dans le monde, l’histoire compte des épisodes odieux, des personnages profondément imparfaits. John A. Macdonald, célébré en tant que premier premier ministre du Canada et père de la Confédération, avait une politique ethnocide de destruction et d’assimilation forcée des peuples autochtones. Qu’on s’en souvienne, car ces chapitres sont gravés dans l’inconscient collectif et ne peuvent être effacés avec le déboulonnage d’un monument. Loin d’être immuable, notre regard change avec le temps, s’adoucit et pardonne, ou au contraire, s’informe et s’insurge.

Staline, en érigeant son Palais de la culture et des sciences, pensait imposer le soviétisme à la Pologne. Au contraire, c’est la Pologne qui a fini par s’imposer sur le palais de Staline.

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