En réponse au texte de Samuel Rochette, « La vente d’une résidence principale devrait être imposable », publié le 21 août

La proposition de rendre imposable le gain en capital réalisé lors de la vente d’une résidence principale ne résiste pas à l’analyse. La taxe nuirait à l’ensemble des Canadiens et ne produirait pas les effets escomptés.

En réduisant les avantages à devenir propriétaire, elle entraînerait nécessairement une baisse généralisée du prix des maisons. Une telle taxe serait donc discriminatoire envers les 9,5 millions de ménages canadiens qui étaient propriétaires en 2016 ; un taux de propriété de 67,8 %.

D’emblée, comment peut-on justifier nuire fortement à plus des deux tiers des ménages pour favoriser de nouveaux acheteurs prospectifs ?

Par ailleurs, certains propriétaires ont aujourd’hui de la difficulté à faire leurs paiements hypothécaires. D’autres verraient la valeur de leur résidence passer rapidement sous la valeur de leur hypothèque si on adoptait la taxe. Incités à vendre ou à faire défaut sur leur emprunt, un nombre grandissant d’hypothèques défaillantes viendraient alors miner le système financier déjà fragilisé par la pandémie et risquer d’aggraver les déficits de l’État.

En cherchant à aider les acheteurs prospectifs, on nuirait particulièrement aux récents acheteurs plus jeunes et plus endettés ; ceux plus à risque qui ont payé cher leur résidence. Du coup, on anéantirait leur capital – souvent l’ensemble de leur épargne – et leur dossier de crédit.

Pire, une telle taxe défavoriserait moins les ménages plus riches dont la résidence principale représente une plus faible proportion de leur richesse. En revanche, étant donné les sommes en jeu, plusieurs seraient tentés par des montages financiers pour éviter légalement la taxe.

Les locataires qui veulent le demeurer pour toutes sortes de raisons (besoins différents, instabilité financière, mobilité nécessaire, préférences, etc.) verraient-ils leur loyer mensuel diminuer ? On peut en douter. Avant même que la taxe n’entre en vigueur, certains propriétaires voudront vendre prématurément pour éviter l’impôt et devenir locataires. Cela conduira à une chute du prix des maisons et une augmentation des loyers.

Une fois la taxe adoptée, à part ceux en défaut, aux prises avec une perte en capital et qui auront vendu de façon préventive, les ménages voudront reporter le plus longtemps possible la vente de leur résidence et cesser d’y investir.

À terme, cela viendrait réduire l’offre sur le marché immobilier, la qualité du parc immobilier résidentiel et la mobilité d’une main-d’œuvre déjà en pénurie. Ainsi, un chômeur propriétaire de sa résidence se voyant offrir un emploi dans une autre région risquerait de le refuser pour éviter la taxe ; une occasion perdue pour l’employé, l’employeur et les gouvernements. Privés de la taxe sur le gain en capital et des impôts sur le salaire de l’individu, l’État devrait toutefois continuer à soutenir le chômeur.

Ça fait beaucoup de monde à se mettre à dos : propriétaires actuels et locataires. Sans compter qu’on exacerberait les inégalités, la pénurie de main-d’œuvre et, potentiellement, les déficits des gouvernements. Pour leur part, les acheteurs prospectifs feraient certes face à des prix moins élevés, mais avec l’élimination de l’avantage fiscal, il n’est pas évident qu’il serait plus avantageux de devenir propriétaire.

Une taxe sur la vente d’une maison crée aussi d’autres iniquités. Par exemple, les baby-boomers ayant récemment vendu leur maison auraient évité la taxe et la baisse du prix de leur résidence, alors que ceux qui sont toujours propriétaires n’échapperaient pas au filet de l’État.

Pour ceux qui envisageaient d’utiliser le produit de la vente de leur maison pour leur retraite, les conséquences combinées d’une telle taxe et de la baisse de la valeur de leur actif immobilier qui en résulterait seraient dévastatrices.

D’autant plus que pour plusieurs, le gain en capital ponctuel les ferait basculer dans une tranche d’imposition plus élevée. Imaginez l’impact si le gouvernement s’engageait aussi à augmenter la taxe sur les gains en capital, mesure actuellement envisagée par le fédéral.

L’auteur mentionne qu’aux États-Unis, le gain en capital sur la résidence principale est taxable, mais omet de mentionner que les charges hypothécaires sont en grande partie déductibles. Il oublie également de mentionner que le gain n’est pas taxable si le ménage achète une autre résidence. La loi leur accorde aussi une exemption de plus de 23 millions US sur leur succession sans taxe sur le capital au décès.

Un autre problème majeur est que l’inflation contribue à une appréciation nominale substantielle du prix des maisons. Par exemple, un ménage qui a acheté une maison 15 000 $ en 1965 et l’a revendue 165 000 $ en 1995 n’a réalisé qu’un gain réel de 72 000 $ en tenant compte d’une inflation de 420 %.

Enfin, le gain en capital devrait aussi être corrigé des sommes dépensées pour financer et rénover la résidence. Voudra-t-on que le propriétaire estime lui-même le coût de ses rénovations alors que ses factures ont depuis longtemps pris le chemin de la poubelle ? Lui permettrait-on de déduire ses paiements d’intérêt ? Ses impôts fonciers ? La taxe de bienvenue ? Les frais de notaire ? Tous des frais normalement déductibles d’un gain fait sur un actif financier.

Modifier de façon inattendue des règles fiscales établies de longue date et qui ont façonné de façon permanente les comportements des ménages canadiens est profondément injuste.

Leur patrimoine, accumulé prudemment et honnêtement au fil des ans, se ferait en quelque sorte exproprier de façon cavalière et discriminatoire sous prétexte d’objectifs illusoires.

Adopter une telle politique serait non seulement une rupture de contrat social, mais suicidaire politiquement.

La commission Godbout recommandait en 2015 une refonte de la taxe sur les gains en capital qui incorporait des changements prospectifs (aucun effet rétroactif), une prise en compte de l’inflation et un resserrement des règles pour contenir la spéculation.

> Lisez « La vente d’une résidence principale devrait être imposable »

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion