Le système judiciaire québécois ne fait pas de cadeaux aux personnes souffrant de troubles mentaux, bien au contraire.

J’ai lu avec intérêt les textes des journalistes Janie Gosselin et Patrick Lagacé*, qui traitent de la trajectoire d’un individu ayant été trouvé non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux (NCRTM) à la suite d’un délit grave contre la personne. Cet individu aurait été libéré avec modalités lors d’une audience de la Commission d’examen des troubles mentaux (CETM), moins de deux mois après le prononcé de son verdict. D’emblée, un tel dénouement suscite en moi de l’étonnement, car selon mon expérience, un tel verdict n’est pas un ticket pour retrouver sa liberté plus rapidement, au contraire.

Les données tirées des études canadiennes tendent plutôt à démontrer que les individus déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux passent plus de temps en détention que ceux judiciarisés par la voie régulière, pour un même délit. Comme il ne s’agit pas d’une sentence, la détention hospitalière doit être maintenue selon le risque que représente l’individu pour la société. De plus, elle a comme mission d’aider à sa réinsertion sociale, mais à ce niveau, j’ai plusieurs réserves.

Il y a longtemps que l’on tente d’éviter de longues hospitalisations en psychiatrie, car elles ont tendance à favoriser la régression et l’isolement social aux dépens de la reprise d’un rôle productif dans la société. De plus, selon l’état des connaissances actuelles sur les facteurs de risque criminogènes, on en comprend que la maladie mentale est très rarement la seule cause explicative. Le plus souvent, les difficultés psychosociales et la toxicomanie sont au cœur de ce qui amène les individus, atteints ou non de troubles mentaux, vers la criminalité.

Face à une défense de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux (NRCTM), deux issues sont possibles, sans nuance sur le degré de responsabilité. La réalité est pourtant bien plus complexe.

Un geste de violence peut s’expliquer par plusieurs facteurs, souvent entremêlés. La drogue ? Le tempérament ? La psychose ? Toutes ces réponses ?

Quoi qu’il en soit, on demande à l’expert de trancher, sur la balance des probabilités. Un individu désorganisé et délirant, en grande précarité, peut en arriver à commettre des vols pour se nourrir, tout en demeurant en mesure de savoir que voler, c’est mal. Devrait-il être judiciarisé, envoyé en expertise (ce qui est très coûteux pour le système de santé !), ou plutôt orienté vers des services spécialisés afin qu’on puisse l’aider à s’en sortir ? Au Québec, les initiatives de déjudiciarisation tardent à voir le jour. Plusieurs villes ont développé des tribunaux adaptés, prônant la justice thérapeutique, mais les expertises continuent à être ordonnées fréquemment dès qu’un prévenu présente un état mental perturbé, et ce, peu importe la gravité du crime, faute d’autres solutions rapidement disponibles.

Une pratique discriminatoire

Le Québec est la province avec le plus grand taux de verdicts de NRCTM. Dans ma pratique, je dois (trop) souvent évaluer des individus pour un vol de sac de chips ou un geste de vandalisme. Si le verdict en est un de NCRTM, le tribunal a la possibilité d’ordonner une détention hospitalière, même si le délit reproché à la personne n’aurait pas entraîné une peine d’emprisonnement avec la voie judiciaire régulière. Cette pratique me paraît discriminatoire, et devrait être davantage balisée, dans certaines situations.

Garder un individu détenu longuement dans un hôpital est lourd de conséquences individuelles et sociétales et ne devrait être ordonné que dans des circonstances exceptionnelles. Malheureusement, on voit trop souvent des détentions se prolonger en raison d’autres facteurs que la dangerosité réelle.

Plus longue est la détention, plus difficile est la réinsertion sociale. Bien entendu, il y a des cas d’exception, des crimes graves commis par des individus malades et résistants au traitement. Il demeure primordial d’assurer la sécurité du public. Par contre, je déplore le fait qu’il n’y ait souvent aucune autre solution que la défense de NRCTM pour des individus ayant commis des délits de faible gravité.

En raison des coupes massives dans les services de réadaptation, l’hôpital québécois est essentiellement adapté aux séjours de courte durée. Il n’est pas l’endroit idéal pour permettre au patient de développer sa résilience et sa pleine autonomie. De plus, les modalités ordonnées par la CETM peuvent aller à l’encontre des approches de responsabilisation préconisées dans le traitement des troubles de la personnalité et de la toxicomanie, problématiques que l’on retrouve fréquemment en comorbidité chez les patients reconnus non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

On aimerait croire que l’époque de l’asile est révolue, mais non. Une réflexion impliquant plusieurs partenaires s’impose afin de pouvoir développer des solutions de rechange systématiques à la judiciarisation traditionnelle pour les individus souffrant de troubles mentaux et ayant commis des délits mineurs ou non violents. Ces solutions pourraient être adaptées aux différentes problématiques, et moins stigmatisantes. On devrait encourager le développement de ces programmes en partenariat avec les organismes communautaires et de santé mentale. Cela pourrait éventuellement permettre, à mon avis, une utilisation plus ciblée et appropriée de la défense de NRCTM.

* Lisez le texte de Janie Gosselin

* Lisez la chronique de Patrick Lagacé

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