Il y a cinq ans, la photo d’Alan Kurdi, un garçonnet syrien balayé sur la plage, a circulé partout sur la planète. L’image de l’enfant noyé alors que sa famille tentait de trouver la sécurité a suscité une réaction hors du commun.

À ce moment, de nombreux journalistes ont communiqué avec nous chez Action Réfugiés Montréal. Ils souhaitaient comprendre l’étendue de la crise des réfugiés syriens et, surtout, de quelle façon nous pouvions tendre la main pour les aider. Nous avons fait partager notre expertise à la télévision, à la radio et dans les journaux.

Nous avons aussi été sollicités par des personnes habitant au Canada, inquiets pour des membres de leur famille en situation de réfugiés ailleurs dans le monde, qui cherchaient à trouver des façons d’accueillir des membres de leur famille au Canada. Les téléphones ne dérougissaient pas. Tout un chacun voulait contribuer, que ce soit en donnant des meubles, des vêtements ou en offrant un logement ou une invitation pour un repas. Des communautés religieuses ainsi que des individus proposaient de parrainer des familles syriennes. De plus, des sommes d’argent non sollicitées se sont mises à entrer de la part d’entreprises, de fondations et de citoyens. Tout ça parce que, de façon inattendue, une seule simple photo a déclenché un tsunami de sympathie et de générosité.

Depuis ce temps, plus de 40 000 réfugiés syriens sont arrivés au Canada. Ils ont appris le français et l’anglais. Leurs enfants fréquentent l’école. Les gens ont trouvé et créé des emplois. Tant de choses ont été réalisées et nous sommes reconnaissants de l’appui qui a permis à de nombreuses personnes de vivre en sécurité parmi nous. Cela dit, lorsque nous évoquons ce triste anniversaire avec des Syriens, les émotions surgissent. Cela évoque les souvenirs du périple éprouvant pour arriver au Canada, les longues périodes d’incertitude et la tristesse de penser aux parents et amis perdus durant la guerre ou en tentant la fuite.

Cinq ans plus tard, plusieurs Syriens au Canada espèrent toujours une réunification avec des membres de leur famille aux prises avec des conditions difficiles.

C’est dire qu’il reste encore beaucoup à faire pour les Syriens qui cherchent refuge. Il y a ceux qui sont encore en Syrie et ceux dans les pays limitrophes. Une importante cohorte se trouve d’ailleurs au Liban dans des circonstances pénibles. Là-bas, des enfants manquent de nourriture et d’éducation. Les parents ont perdu leurs emplois et peinent à faire vivre leur famille. Plusieurs vivent dans la peur, sans argent et nourriture ni de toit au-dessus de leurs têtes.

L’Institut universitaire SHERPA a récemment fait état de l’augmentation des iniquités durant la pandémie entre les nantis et les nouveaux arrivants. Nous savons que c’est aussi le cas des personnes réfugiées à l’étranger. La pandémie a causé un arrêt complet de plus de quatre mois dans les procédures d’examen de dossiers de réfugiés parrainés et une réduction abrupte d’accueil de personnes dont les dossiers sont pourtant acceptés. Pour ces gens qui attendent déjà depuis des années, cette attente additionnelle a quelque chose de cruel.

Évidemment, il n’y a pas que les personnes syriennes qui nécessitent une protection. Des organisations comme la nôtre administrent des demandes de parrainage provenant du Burundi, de l’Irak, de l’Érythrée et de l’Afghanistan, entre autres. Au Québec, le nombre de places accordées pour les parrainages a diminué. Lors de la dernière ronde, le nombre de dossiers alloués n’a pas été atteint hors de Montréal. Notre demande d’attribuer les places restantes aux demandeurs montréalais a été refusée par le gouvernement en place. Ainsi, encore moins de réfugiés seront admis cette année.

Ne pas reconnaître des enjeux comme le racisme systémique, refuser de respecter le quota déjà famélique pour le parrainage de réfugiés et manquer de clémence en refusant le statut de résidence permanente à certains « anges gardiens » comme les préposés au nettoyage et les préposés à la sécurité dans les hôpitaux : tout cela nous désole.

Cinq ans après la publication de la tristement célèbre photo, notre constat est clair. Nous avons de la reconnaissance pour l’effort et la solidarité de la société canadienne envers les personnes réfugiées. Nous réitérons notre engagement à défendre les droits des personnes réfugiées, ceux qui sont demandeurs d’asile, de même que les personnes parrainées à distance qui, selon nous, devraient attendre beaucoup moins longtemps. Finalement, nous demeurons confiants que la volonté générale, citoyenne, religieuse et des entreprises demeure forte à appuyer les efforts des ONG qui accompagnent les personnes réfugiées accueillies chez nous.

Il y a cinq ans, une photo tragique a inspiré plusieurs d’entre nous à tendre la main. La compassion et la justice envers les personnes réfugiées continueront à donner de l’espoir aux personnes dans des situations intenables, ici et à l’étranger.

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