Loin d’avoir déclenché la colère de la proverbiale « rue arabe » ou des chancelleries du Moyen-Orient arabe, l’annonce de la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis, semble plutôt destinée à être imitée par d’autres États arabes, à en croire l’accueil chaleureux que lui ont réservé le Bahreïn, Oman et le Soudan.

Aussi n’est-ce pas un hasard si ce sont les deux puissances régionales non arabes de la région, la Turquie et l’Iran, qui ont farouchement dénoncé l’entente israélo-émiratie. Car Téhéran et Ankara craignent que le rapprochement israélo-arabe fasse chanceler leurs aspirations hégémoniques sur le Moyen-Orient. On en connaît trop bien les effets délétères, de l’Irak au Yémen, en passant par la Syrie, le Liban et Gaza.

Sur fond de déstabilisation régionale engendrée par le Printemps arabe, la remontée de l’islamisme radical, l’exacerbation des haines et des confits sectaires, l’ingérence turque et iranienne dans le monde arabe et le désengagement américain de la région, le conflit israélo-palestinien a cessé de structurer l’ordre géostratégique du Moyen-Orient.

Confrontés à cette nouvelle réalité, les pays du Golfe ont cessé de percevoir Israël comme leur ennemi existentiel et se sont découvert des intérêts communs avec Jérusalem, notamment face à la montée en puissance de l’Iran.

Toutefois, cette convergence d’intérêts ne se limite pas à des enjeux d’ordre géostratégique. De fait, prenant acte de l’impasse israélo-palestinienne que plusieurs intellectuels arabes du Golfe attribuent à l’intransigeance rejectionniste des dirigeants palestiniens, les États membres du Conseil de coopération du Golfe ont tiré un bilan négatif de leur politique de boycottage de l’État juif, jugeant qu’elle n’avait eu aucune incidence sur la résolution du conflit israélo-palestinien et que loin d’avoir affaibli Israël, ce dernier était devenu l’un des pays les plus développés du monde.

Attitude nouvelle

Cette attitude nouvelle envers Israël n’est pas le seul fait des dirigeants arabes et jouit d’une profondeur indéniable au sein de l’opinion arabe. À preuve, réunis à Londres en novembre 2019, des intellectuels issus de 15 pays arabes ont fondé le Conseil arabe pour l’intégration régionale pour prôner la normalisation des relations des États arabes avec Israël dans le but de lancer de nouvelles initiatives « dont bénéficieront nos pays en brisant la barrière des boycottages dans la région, en particulier le boycottage arabe des Israéliens qui a entravé les partenariats en matière de technologie, de médecine, d’infrastructure, de commerce, d’économie, de même que l’étendue des aspirations humaines ».

Et d’ajouter le Conseil dans son texte fondateur : « Le boycottage a également contrarié les espoirs de paix entre les peuples israélien et palestinien : privés d’engagement direct avec l’un ou l’autre des deux peuples, les Arabes n’ont pas pu cultiver les liens qui auraient pu nous permettre de favoriser la conciliation et le compromis des deux côtés. En résumé, le boycottage a accru les souffrances de nos sociétés et a affaibli nos capacités. »

Le rapprochement israélo-arabe, quoi qu’en disent certains experts chagrins, ne repose donc pas sur la seule volonté de former un bloc uni contre la politique de déstabilisation régionale des ayatollahs de Téhéran, mais sur le désir de pays arabes de s’émanciper d’une politique d’obstruction afin d’influencer positivement l’éventuelle résolution du conflit israélo-palestinien et d’ouvrir la voie à un nouveau Moyen-Orient fondé sur la coopération et l’entraide qui n’est pas sans rappeler la vision du regretté président israélien Shimon Peres.

Loin d’avoir « trahi » les Palestiniens, en conditionnant la normalisation de leurs relations avec Israël sur le renoncement aux plans d’annexion du premier ministre Benjamin Nétanyahou, les Émirats ont démontré, comme l’Égypte et la Jordanie auparavant, que seules des relations diplomatiques avec Israël permettent aux pays arabes d’influencer favorablement les politiques de Jérusalem envers les Palestiniens.

L’accueil immensément enthousiaste réservé à l’accord en Israël devrait également être source d’espoir pour la viabilité de la résolution du conflit israélo-palestinien sur la base de deux États pour deux peuples. Alors qu’en mai dernier, 45 % des Israéliens approuvaient l’annexion des implantations israéliennes, questionnés dans un sondage cette semaine sur leur préférence entre la paix avec les Émirats et l’annexion de pans de la Cisjordanie, 77 % ont choisi la paix et seulement 16,5 % l’annexion. Ne s’en surprendront que ceux qui font encore mine d’ignorer que depuis la conclusion du traité de paix entre Israël et l’Égypte en 1979 et la rétrocession du Sinaï, les Israéliens ont toujours démontré qu’entre une offre crédible de paix et le maintien de territoires, ils opteront toujours pour la paix.

Alors que le cercle du rapprochement israélo-arabe semble promis à l’expansion et que l’intégration d’Israël comme partenaire à part entière de ses voisins arabes promet de solidifier l’assurance de l’État juif, les dirigeants palestiniens seraient bien avisés de faire mentir l’adage selon lequel ils ne rateraient jamais une occasion de rater une occasion en mettant un terme à leur boycottage autodestructeur des pourparlers directs avec Israël.

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