Le 2 octobre 1977, j’assistais à Washington au match de football entre les Redskins, l’équipe locale, et les Cardinals de St. Louis.

Ma tante avait réussi à nous trouver d’excellents billets : nous étions assis sur le terrain de jeu du stade Robert F. Kennedy, à une table pour deux ! Buvant de la bière servie dans de vrais verres, je ne comprenais que peu des règles de ce sport extrême. Mais l’ambiance, y compris la proximité presque intime de ces joueurs quasiment armés jusqu’aux dents, compensait pour beaucoup.

Le nom de l’équipe m’étonnait et me faisait penser aux livres de ma jeunesse dans lesquels les peaux rouges jouaient des rôles importants. Au XIXe siècle, l’écrivain Karl May écrivait ses aventures, d’abord dans l’Ouest américain et plus tard en Albanie et au Kurdistan, comme il s’agissait d’une autobiographie, en maîtrisant à la perfection les détails géographiques de Yellowstone et des déserts de l’Arizona. En réalité, May n’a jamais quitté son Allemagne natale ; ses nobles amis apaches et navajos n’étaient que le fruit de son imagination.

La décision récente des Redskins de changer leur nom et ainsi de se débarrasser de ce symbole qualifié de raciste m’interpelle.

Notons l’appui traditionnel à cette équipe de plusieurs amérindiens connus, souvent des héros de la guerre du Pacifique, dont ces fameux code talkers qui communiquaient les messages secrets dans la langue Navajo bien sûr inconnue des ennemis.

La Navajo Nation

Il y a quelques années, nous avons visité la Navajo Nation. Ce territoire semi-autonome dominé par la tribu amérindienne du même nom s’étend surtout au nord-est de l’Arizona et couvre une superficie plus grande que celle de l’État du Massachusetts. Ses 400 000 habitants sont donc éparpillés. Le revenu moyen y est bas et l’impact de la COVID-19 y est le pire aux États-Unis.

Parfois désertique, parfois dominé par ces plateaux appelés Mesas, on y observe également des vallées fertiles. Mais pour le visiteur québécois, ce sont des merveilles de la nature qui ébahissent telles, à l’ouest, le début du Grand Canyon, la rivière Petit Colorado et Antilope Canyon.

PHOTO CAROLYN KASTER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le revenu moyen est bas dans la Navajo Nation et l’impact de la COVID-19 y est le pire aux États-Unis, explique Dirk Kooyman.

Puis vers l’Est, en passant pas loin de la réserve enclavée des Hopi, nation plus discrète que les Navajos, on atteint la légendaire Monument Valley. Finalement, on descend au Canyon de Chelly. Non, aucun français n’a prêté son nom à cet endroit où des tribus disparues il y 800 ans ont construit des habitations assez sophistiquées, accrochées à la falaise, dont celle appelée aujourd’hui la White House ! Par ailleurs, des dizaines de sites semblables, aussi énigmatiques, mais moins idylliques, se trouvent ailleurs sur le territoire de la Navajo Nation et dans les quatre États qui l’entourent : l’Utah, l’Arizona, le Nouveau-Mexique et le Colorado.

Après un long parcours dans un paysage désertique en compagnie des tumbleweeds, boules d’herbes sauvages que le vent propulse, on arrive à Red Mesa, capitale régionale avec 450 habitants, dont 80 % sont amérindiens. À l’horizon, un plateau de pierre rouge ne laisse pas de doute quant à l’origine du nom de la ville.

Sur une affiche attachée à la façade, la Red Mesa High School montre fièrement ses couleurs : ses équipes sportives s’appellent les Redskins. Le message semble clair : « Nous sommes fiers de nos racines, fiers de ce que nous sommes et fiers que ce soient les Redskins qui nous représentent. »

Par ailleurs, la Red Mesa Junior High School a adopté les Braves comme affiliation, avec le logo d’un petit indien orné d’une plume dans les cheveux.

On peut s’interroger sur la motivation réelle quant au choix paradoxal de ces noms : la fierté de la nation ou plutôt la volonté d’adhérer à la culture sportive en Amérique du Nord, d’autant qu’en 2014, le Conseil de bande des Navajos a condamné l’utilisation du nom de l’équipe de Washington comme étant raciste. Un sondage révélait que 67 % des autochtones au pays partageaient cette opinion.

Il y a donc fort à parier que, d’ici un an ou deux, les Red Mesa Redskins ne porteront plus leur nom. Est-ce que cela représente un gain contre le racisme ou une perte d’identité et de fierté ?

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