En réponse au texte de Sylvain Charlebois, « Le poids de la pandémie », publié le 2 août

Il est toujours triste de voir des gens brandir des faits et la science pour finalement simplement continuer à surfer sur des préjugés.

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Dans son texte publié le 2 août, Sylvain Charlebois, directeur principal du laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, a davantage participé à stigmatiser les personnes grosses que proposé des idées pour améliorer la santé publique.

Par exemple, il mentionne que « les probabilités pour les personnes qui souffrent d’embonpoint de contracter le [coronavirus] sont plus élevées que la moyenne. » Les personnes grosses n’ont pas plus de risques d’attraper le virus que le reste de la population. Là où la médecine s’inquiète, c’est que si une personne grosse est atteinte par la COVID-19, elle a plus de risques d’avoir des complications. Et encore, il faudrait préciser que ces risques augmentent si la personne présente déjà des problèmes de santé – ce qui n’est pas le cas de tous les gros ou de toutes les grosses. Mais M. Charlebois saute par-dessus cette importante nuance en sous-entendant que le virus a une préférence pour les personnes grosses.

M. Charlebois vante les mesures de la campagne Better Health du gouvernement britannique, un programme de « gestion de poids » pour les citoyens du pays. Une vision considérée simpliste par le chercheur de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec, Benoit Arsenault. Selon lui, ce programme est davantage une opération politique qu’une opération de santé publique.

Que propose Better Health ? Éloigner les friandises des caisses, afficher les calories sur les menus, limiter la diffusion de publicités de malbouffe et mener une belle campagne de promotion pendant neuf mois. On peut le dire d’avance : cette campagne ne changera rien au taux d’obésité qui préoccupe tant.

Better Health ne fait que renforcer cette idée que les problèmes de poids ne seraient que le fruit de choix individuels et non un problème social, accentuant la stigmatisation envers les personnes grosses. Ça sous-entend qu’elles n’ont qu’à se prendre en main.

Une question de pauvreté avant tout

Dans sa lettre, M. Charlebois écrit même que « les preuves démontrent que les communautés noires, asiatiques et minoritaires sont touchées de manière disproportionnée par l’obésité ainsi que par la COVID-19 ». Ce n’est pas un hasard si ces mêmes communautés sont souvent, aussi, les plus défavorisées. Les milieux défavorisés ont encore et toujours une espérance de vie plus basse que les quartiers cossus, et comme si ce fardeau bien involontaire n’était pas assez dur à vivre, on voudrait en plus les blâmer de se retrouver dans les mauvaises statistiques.

La pauvreté a bien plus d’impact sur le poids moyen des gens que les décisions individuelles. Difficile de bien se nourrir quand tu vis dans un quartier considéré comme un désert alimentaire. Difficile de bien se nourrir quand on n’a pas les moyens de n’acheter que des aliments sains. Difficile d’apprendre à mieux s’alimenter quand on n’a pas les moyens de consulter une nutritionniste. Et ainsi de suite.

Que ce soit l’Organisation mondiale de la santé, l’Institut national de santé publique du Québec ou la Chaire de recherche sur l’obésité, tous conviennent que pour réellement diminuer le nombre de cas de surpoids problématiques, il faut viser les inégalités sociales, les environnements urbains et les modes de vie des sociétés.

Si une campagne se veut sérieuse, elle va donc tenter de diminuer les inégalités sociales ; augmenter l’accès à l’éducation (et améliorer l’éducation populaire sur la santé et l’alimentation) ; lutter contre le racisme systémique et le sexisme ; améliorer l’accès aux services en santé mentale (beaucoup de prises ou de pertes de poids proviennent de troubles alimentaires, de dépression, de burn-out et d’autres problèmes de santé mentale) ; repenser l’urbanisme pour améliorer le transport actif et faciliter les activités physiques dans tous les quartiers, et ça, ce ne sont que quelques mesures qui auraient un réel impact sur la santé publique.

La stigmatisation

Qu’est-ce qu’un poids santé ? Un chiffre ? Ou plutôt le corps d’une personne qui a de bonnes habitudes de vie, une bonne santé mentale et aussi une bonne santé sociale, c’est-à-dire qui est acceptée et respectée par les autres ? Cette personne a un poids santé, peu importe le chiffre sur la balance, parce qu’elle est en bonne santé.

M. Charlebois souhaite un « aveu collectif que notre population est trop grasse ». Lorsque deux enfants sur trois se sentent humiliés concernant leur poids par leurs propres parents et leurs frères et sœurs, on peut dire que la peur de la graisse est déjà bien présente, et depuis longtemps. Pour ma part, je souhaiterais un aveu collectif que la culpabilité et les régimes (qui échouent à 95 %), ne sont pas la bonne recette pour inverser les statistiques.

Plusieurs études démontrent que la stigmatisation des personnes grosses ne fait que les inciter à adopter ou à s’enfoncer dans des comportements nocifs.

Combien de personnes grosses en excellente santé se sont mises à développer des troubles alimentaires, à détruire en mille morceaux leur estime personnelle et ont développé des cycles dépressifs après avoir subi tant d’injures et de jugements sur leur corps ? Trop. Tant de vies brisées pour rien.

Si M. Charlebois voulait réellement prendre soin des personnes grosses, il s’attaquerait à la stigmatisation. On peut faire une campagne plus « hop la vie », comme il l’écrit dans sa lettre, mais je propose que cet aspect positif soit de l’inclusion et de l’amour envers les personnes grosses (et toutes les personnes stigmatisées). Là, on parlerait d’une vraie vision qui améliore la vie des gens. Plus que le programme de Boris Johnson.

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