Je m’interroge, ces jours-ci, sur l’intensité avec laquelle des gens crient à la dictature parce qu’on leur impose de porter un masque en public. Et surtout, sur la tension qui grandit dangereusement dans notre société entre eux et la majorité qui pense que le port du masque est une limite raisonnable… dans les circonstances.

Je propose, avant de trop polariser le débat, qu’on arrête de traiter ces opposants d’idiots, comme eux pourraient aussi arrêter de considérer comme des moutons stupides tous ceux qui acceptent cette contrainte. Parce qu’au fond, tout n’est pas clair et tout ne va pas de soi dans la situation actuelle…

Les messages gouvernementaux sur l’utilité ou non du port du masque ont changé presque du tout au tout en deux mois, ce qui, reconnaissons-le, n’encourage pas la confiance. Et il y a réellement des études scientifiques sérieuses qui remettent en question et l’utilité et l’innocuité des masques… comme il y en a d’autres, aussi sérieuses, qui soutiennent le contraire. C’est ça, la science, un ensemble de chercheurs pas très unanimes devant un phénomène encore inconnu.

Dans les médias sociaux, beaucoup de sites nourrissent le doute et la méfiance. Certains croient sincèrement à l’hypothèse d’un complot, ourdi par l’État profond, entretenant ainsi nos peurs, nos craintes de voir tout déraper. On avance que bientôt, le gouvernement voudra, au nom de ce même bien commun, nous imposer des vaccins, des puces de localisation, ou pire ! N’est-il pas utile, et logique, devant ce danger appréhendé, de résister tout de suite et de défendre nos libertés qui ont déjà subi de lourdes limites depuis l’arrivée de la pandémie ?

Ce que nous voyons… et ne voyons pas

Étrange pandémie, d’ailleurs. Beaucoup, surtout parmi les plus jeunes, ne connaissent personne qui a été sérieusement malade ou est mort de la COVID-19. Il y a du vrai dans la question posée sur Facebook. Si les médias n’en parlaient pas autant, si le gouvernement n’était pas intervenu, saurait-on même qu’il y a une pandémie ?

Quand on pense à la grippe espagnole, ou quand un film raconte la peste, on s’imagine que beaucoup de gens mouraient, partout. Des jeunes, des bébés, des vieux. En grand nombre. C’était visible. C’était clair. Aucune difficulté à reconnaître qu’il se passait quelque chose de grave, qu’il y avait du danger…

Mais cette pandémie-ci ? Elle a un petit côté théorique, irréel… La plupart ne la voient qu’à la télévision… de là à ne pas y croire, il n’y a qu’un pas…

Si le gouvernement n’avait pas cru à l’urgence de libérer des milliers de lits pour faire face à un éventuel débordement dans les hôpitaux, il n’aurait pas déplacé, apparemment sans penser aux conséquences pourtant prévisibles, tous ces vieux, malades et hospitalisés, vers des CHSLD qu’on savait pourtant sous-équipés, mal préparés et en manque chronique de personnel… Et il n’y aurait peut-être pas eu ce scandale des décès et de la maltraitance des vieux dans les CHSLD.

Hormis ces décès, pour la plupart des gens, la pandémie semble au fond n’être qu’une drôle de grippe. Des vieux en meurent, c’est vrai, mais c’est comme ça. Et pour la plupart des jeunes, même parmi ceux qui ont « testé positif », il ne se passe rien…

Et c’est pour ça qu’on ferme tout ? Qu’on nous empêche de sortir ? Que des petits-enfants ne voient plus leurs grands-parents ? Que des personnes sont isolées, enfermées dans leur chambre pendant des mois, et dépérissent de cette perte de contact ? Que des centaines de personnes sont décédées seules, sans le réconfort de la présence de leur famille, sans pouvoir faire leurs adieux ? Que l’économie du pays est mise à terre ? Que l’on ferme des écoles ? Que tant de gens perdent leur emploi, leur revenu ? Qu’on jette tout à l’eau ? Tout ce bordel pour une grippe qui ne tue que des vieux déjà malades ?

Je reconnais que ce sont de très bonnes questions… Et si le remède était plus dangereux que la maladie ? C’est à cela qu’il faut répondre, le plus honnêtement possible. Malheureusement, pour l’instant, la démonstration est trop faible, a donné lieu à trop de ratés et ne convainc pas tout le monde…

D’autres, eux, ont regardé fidèlement, jour après jour, les conférences de presse de Messieurs Legault et Arruda. Plusieurs connaissent des gens qui ont été sérieusement malades ou qui sont morts. Certains suivent les analyses et les statistiques de l’INSPQ, des CDC, les reportages de CNN. Ils ont regardé, avec horreur et tristesse, les entrevues avec des médecins et infirmières dans les hôpitaux débordés à Bergame, en Italie, en France, à New York, ainsi que les témoignages déchirants de travailleurs dans les CHSLD. Cela a suffi. Ils sont convaincus du danger. Ceux-là sont prêts à tous les sacrifices pour participer à l’effort collectif pour niveler la courbe. Pour eux, la COVID-19 est réelle, et elle tue… Ils ne comprennent absolument pas que quelqu’un puisse même imaginer qu’il n’y a là qu’une fabulation…

Se parler

Alors quoi ? Je ne sais pas… Se parler, de nos inquiétudes, de nos doutes, de nos craintes. Accepter – et c’est probablement ce qui est le plus difficile et le plus insécurisant – de relativiser notre conviction profonde d’avoir totalement raison, et celle que l’autre est un con.

Comprendre qu’aujourd’hui, avec internet, les sources d’information varient, et que toutes ne racontent pas la même chose. Que chacun va trouver des éléments pour appuyer sa croyance… mais que ce n’est pas automatiquement la vérité…

Que Trump a jeté le doute, dans la tête de beaucoup de monde, sur la validité des médias traditionnels… Que nous vivons dorénavant avec le soupçon des « fake news », des mensonges qui sont monnaie courante depuis des décennies, des demi-vérités, des intérêts pas toujours avoués… Qu’il n’est pas facile, ni prudent, de croire tout ce qu’on nous dit… Que le doute, ici, se comprend… Et qu’il faut s’interroger, réellement, sur la pertinence de toutes ces mesures qu’on a prises un peu à l’aveuglette au départ… Un temps d’arrêt, d’évaluation…

Cela justifie-t-il le refus du port du masque ? De la distanciation sociale ? Au nom de ma liberté ? Si c’est un pas vers la dictature, dans une pandémie inventée, gonflée, oui !

Mais… Et si c’était vrai, s’il y avait un danger réel pour une partie de la population ? Et que le prix à payer, c’était cet inconfort, ces inconvénients ? Est-on prêt à le payer ? Il faudrait peut-être y penser, en discuter, voir ensemble… Sans rien tenir pour acquis… Après tout, on n’arrête pas tout à chaque hiver, lorsqu’arrive la grippe… Et pourtant, cela sauverait aussi des centaines de vies au Québec, à chaque année… Mais on ne nous demande pas ce sacrifice… Pourquoi est-ce différent avec la COVID-19 ?

Mais entre-temps, pour le port du masque… une remarque. De façon surprenante, la loi nous donne la possibilité de ne pas en porter, si on est vraiment incapable de le faire pour des raisons sérieuses (médicales, non par goût ou par caprice). La loi n’exige même pas qu’on prouve cette incapacité.

Surprenante, cette autorisation, dans le contexte actuel de peur et de méfiance généralisées, ce rappel qu’on vit peut-être encore dans un monde où on espère collectivement pouvoir se faire confiance, faire appel à la bonne foi de l’ensemble, au civisme de la plupart des gens, à un peu d’altruisme…

Mais pour ça, pour qu’il n’y ait pas de lynchage lorsqu’une personne ne porte pas le masque, il faut rétablir un minimum de confiance, d’entente, de respect mutuel.

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