En privilégiant l’art populaire aux dépens de sa collection d’art canadien et québécois, Nathalie Bondil abusait de la faiblesse du conseil

J’ai pris connaissance dans vos pages de mardi dernier de la lettre de Madame Monique Jérôme-Forget en lien avec les récents événements au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) et dans laquelle elle critique fortement Michel de la Chenelière, président du conseil d’administration et souligne un manque de gouvernance de sa part.

Après avoir eu l’idée (avec Monsieur Michel Nadeau) de créer l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) en tant que cofondateur de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, après avoir dirigé ma propre entreprise pendant 63 ans en tant que président, ainsi que d’avoir siégé sur plus d’une trentaine de conseils d’administrations d’entreprises diverses, je pense que je peux m’exprimer en réponse à la lettre de Mme Jérôme-Forget.

Je ne partage pas du tout sa définition de la gouvernance. Bien que je ne sois pas membre du conseil d’administration du MBAM, je travaille en étroite collaboration avec le Musée en tant que donateur. Je dois dire que mon impression du travail du conseil d’administration est qu’il était très faible avant que Michel de la Chenelière n’en prenne les rênes. Le conseil d’administration ne semblait pas avoir de politique ou de stratégie à long terme pour le Musée ; les administrateurs ont permis à la Directrice générale et conservatrice en chef, Nathalie Bondil, de prendre toute la latitude qu’elle voulait pour faire ce qu’elle avait en tête. En d’autres termes, le conseil ne remplissait pas son rôle de « gardien » de la culture du Musée ; il a failli en ne donnant aucune instruction et n’assumant aucune supervision de Mme Bondil. Le conseil ne remplissait pas son rôle et n’a pas assumé ses responsabilités de fiduciaire.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Bondil

Contrairement à ce qu’avance Mme Jérôme-Forget, le conseil d’administration d’une organisation est la plus haute instance dans une organisation. Il est chargé de nommer le président, qui est embauché comme chef de la direction pour mener à bien la politique et la stratégie du conseil et pour implanter la culture de l’organisation. Tout administrateur a le droit de parler à toute personne de l’organisation. Normalement, il en informe le ou la président(e) à l’avance d’une telle démarche. L’une des fonctions principales d’un conseil d’administration est d’évaluer la gestion et la qualité des dirigeants. Un conseil d’administration a souvent un vérificateur qui relève entièrement du conseil d’administration. À la suite de chaque réunion, un bon conseil d’administration devrait tenir une séance à huis clos afin d’échanger sur le leadership de la direction et l’exécution du plan d’affaires. Toutes les questions des administrateurs doivent recevoir une réponse par la direction générale lors d’une réunion du conseil d’administration ou peu après la rencontre si nécessaire. Tout administrateur doit pouvoir rencontrer les membres de l’équipe de direction, seul ou en groupe. Il ne doit pas y avoir de microgestion, bien que les dirigeants individuellement puissent être en mesure de demander conseil aux administrateurs sur les problèmes de gestion. À ce titre, les membres du conseil agissent comme mentors. Si un tel processus n’existait pas, la direction ne fournirait au conseil que les informations de son choix, ce qui empêcherait celui-ci de s’acquitter de sa responsabilité de fiduciaire.

Un processus important

En ce qui a trait à sa demande à M. Nadeau d’enquêter sur la situation, Mme Jérôme-Forget semble ignorer l’importance d’un processus important. Il incombe au Président du conseil d’orienter l’ensemble des administrateurs et d’être le porte-parole du conseil. Il appartient au conseil d’administration de formuler une vision, de respecter ses politiques et de déterminer la stratégie en consultation avec les dirigeants. Le conseil est spécifiquement là, de par la Loi, pour gérer la gouvernance au nom des parties prenantes, soit les employés, les clients, les fournisseurs, la communauté locale et naturellement les actionnaires. Dans le cas du MBAM, la présidente, Mme Bondil, s’est arrogé les droits du conseil d’administration, car le conseil lui-même était faible, mal informé et n’exerçait pas suffisamment son rôle de fiduciaire, et ce, depuis trop longtemps.

De ce fait, la mission s’est éloignée de celle d’un véritable musée d’art, qui privilégie ses collections et la visibilité de ces collections, en permettant la rotation des expositions venant de la collection autant que de l’art emprunté. Mme Bondil a fait un travail remarquable et a été extrêmement efficace pour attirer un public plus large au Musée en utilisant l’art populaire et des expositions qui ne touchaient pas à l’art. Son excellent travail sur ce point doit être largement applaudi.

Cependant, ces types d’expositions n’auraient pas dû être montées au détriment de la véritable raison d’être du MBAM. Ils ne devraient pas avoir relégué la collection du Musée hors des meilleurs emplacements ni empêcher le Musée de bâtir sa collection ou de montrer des arts d’autres collections et musées, en rotation.

Sur une base personnelle, ce que j’ai pu constater est qu’il y avait plus d’importance qui a été accordée à ce type d’expositions qu’à celle apportée à la collection du Musée, et plus particulièrement aux collections d’art québécois et canadien. Celles-ci n’ont pas reçu l’importance qu’elles auraient due. Par exemple, ma Fondation a fait don, en 2013, de 1,5 million de dollars au MBAM pour embaucher un conservateur d’art canadien, avec l’exigence que 1 million de cette somme soit apparié afin d’obtenir un impact plus important. Cet appariement n’a été effectué que plusieurs années après le don, malgré le fait qu’il faisait partie du protocole d’entente qui avait été convenu de part et d’autre. Les 500 000 $ restants de notre don ont initialement été versés pour soutenir deux types d’expositions. Le premier type devait s’appeler « Montréal Collects » et visait à montrer au public les nombreuses collections privées de collectionneurs montréalais afin d’encourager les dons majeurs aux collections du Musée. Cependant, « Montréal Collects » n’a eu lieu qu’une seule fois, et ce, avant que notre Fondation effectue le don. Le Musée n’a pas organisé de telles expositions depuis. L’autre type d’exposition stipulée dans notre entente était de présenter des œuvres de jeunes artistes canadiens et québécois lors d’« expositions printanières », mais aucune « exposition printanière » d’envergure n’a eu lieu. Deux des conservateurs d’art canadien dont nous avons aidé à financer l’embauche m’ont fait part de leur mécontentement. Les deux ont ensuite démissionné. Un troisième a été embauché, mais pas selon les critères qui avaient été convenus dans le protocole avec le MBAM.

Par conséquent, à part l’exposition Une modernité des années 1920 à Montréal-Le Groupe de Beaver Hall, en 2015, il n’y a pas eu de grandes expositions canadiennes importantes depuis le moment où notre don a été fait. Cependant, le conseil n’a jamais émis d’objection par rapport au manque d’expositions d’art québécois et canadien. Ils ont été fascinés par le succès de Mme Bondil qui a su amener le grand public au Musée, mais pas pour voir de grandes expositions canadiennes et québécoises d’importance.

Mais en laissant libre cours aux goûts de la directrice générale, la véritable mission du MBAM pour la diffusion de l’art a été mise de côté et le Musée a perdu plusieurs de ses précieux collaborateurs. À mon avis, le courage et le leadership de Michel de la Chenelière ont permis au conseil de se réaffirmer. Je pense que c’est une tragédie que cela n’ait pas été fait plus tôt – afin d’équilibrer les priorités de Mme Bondil avec celles des autres membres de l’équipe du MBAM, et ainsi éviter de perdre d’autres membres d’un excellent groupe de cadres. Ni Mme Bondil ni aucun autre président ne devraient être autorisés à usurper le pouvoir d’un conseil d’administration. Donc, malgré mon amitié de longue date avec Mme Bondil, pour qui j’ai beaucoup d’admiration et de respect, je suis convaincu que le conseil d’administration du MBAM a pris la bonne décision.

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