En tant que proche soignante et amie mandatée pour ses soins, j’ai été la témoin impuissante du moment où Robert Vachon a rendu son dernier souffle grâce à une caméra de surveillance que nous avons installée dans sa chambre, avant la COVID-19.

Depuis plus de 3 ans, une équipe de proches soignants et moi-même avions assumé, par une présence soutenue le midi, le soir et au coucher, son alimentation, son hydratation, sa prise de médicaments, sa sécurité, la stimulation et l’accompagnement. Après un mois de confinement et d’exclusion de ses proches soignants, il est mort seul, déshydraté et dans des conditions inimaginables. Il était atteint d’Alzheimer depuis 10 ans et souffrait d’importants problèmes cardiaques et pulmonaires, ce qui en faisait un bon candidat pour la COVID-19. Jamais, il n’a été capable d’utiliser la sonnette pour appeler à l’aide. Robert Vachon, 90 ans, habitait au CHSLD Laurendeau de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville depuis novembre 2015.

Victime de la COVID-19 ou de négligence systémique ?

Robert est décédé le 12 avril après un mois de confinement. Mercredi après-midi du 8 avril, il commence une petite toux. Le personnel est alors réduit en nombre et est composé de remplaçants ne connaissant pas les bénéficiaires. Ils n’arrivent pas à le faire manger et ne lui offrent pas d’eau à boire. Le jeudi 9 avril, la situation empire : il tousse de plus en plus et reste sans soins d’hygiène jusqu’en après-midi. Il n’arrive pas à avaler quoi que ce soit. Depuis chez moi, je le vois de plus en plus faible ; il réagit aussi de moins en moins à ma voix quand je lui parle par le haut-parleur de la caméra. La nuit de jeudi, je l’entends tousser et respirer bruyamment la bouche ouverte et la gorge remplie de sécrétions. Jusque-là, aucun test pour dépister la COVID-19, pas de prise des signes vitaux. Le vendredi 10 avril, je réussis à parler à l’infirmière régulière et par la suite les signes vitaux et la température sont pris. Il fait 38,9 °C et l’infirmière m’informe qu’elle va faire la demande pour un test de COVID-19.

Le samedi 11 avril, la situation s’aggrave beaucoup. Personne ne vient pour les soins avant 12 h. Une dame vient avec des médicaments, elle l’appelle par son nom, et il ne répond pas, elle quitte la chambre sans avoir essayé d’administrer ses médicaments et sans vérifier ce qui se passe.

Il est en grande détresse et personne ne s’en rend compte. Je passe la journée à regarder la caméra en panique et n’arrive à joindre personne au téléphone pour l’aider.

Je lui parle pour voir s’il réagit à ma voix. Il bouge ses mains en faisant un mouvement de détresse pour me dire « aidez-moi » ! C’est seulement à 21 h 30 qu’on vient prendre les signes vitaux et la température, il fait 39,9 °C. On lui administre un suppositoire pour la fièvre sans aucune autre aide médicale. La nuit de samedi, il est à l’agonie et moi avec lui. Il n’arrive pas à RESPIRER. Je me prépare au pire.

Le dimanche 12 avril, la même histoire se reproduit, il ne reçoit aucun soin. À 10 h 30. Je vois qu’il s’en va et qu’il ne pourra pas tenir le coup. Je suis certaine que son cœur va lâcher. Je plaide auprès de l’infirmière pour qu’elle contacte le médecin afin qu’on soulage sa souffrance ! Elle revient vers 11 h, pour mettre un timbre de morphine et apporter une bonbonne d’oxygène qui ne fonctionne pas et doit être changée à trois reprises. Il est en meilleure position et respire avec plus de confort pendant environ une heure jusqu’à l’arrivée de deux préposées qui viennent le laver. Elles manipulent sans précaution son corps presque sans vie, le basculant de droite à gauche sans soutenir sa tête de façon à aider à sa respiration. Je leur répète « s’il vous plaît, il n’arrive pas à respirer ».

Mes yeux sont fixés sur la caméra et je suis bouleversée de le voir arrêter de respirer une minute à peine après le départ des deux préposées, il est 14 h 25 ! Son cœur a lâché devant mes yeux ! On l’a laissé agoniser seul pendant trois jours.

Plusieurs semaines après son décès, je suis encore hantée par ce dont j’ai été témoin. Une profonde tristesse accompagnée d’un sentiment de révolte m’habitent. Je suis en colère !

Finalement de quoi est-il mort ? De la COVID-19 ? Je n’ai eu que des informations contradictoires et jamais une réponse claire. Pourquoi n’a-t-il pas été testé alors qu’il était à haut risque et présentait une forte fièvre et des problèmes aigus de respiration dans le contexte où il y a déjà un bon nombre de résidents de l’étage qui avaient été infectés et transférés en zone chaude ?

Comment a-t-il été contaminé ? Les symptômes étaient visibles le 8 avril et il est décédé le 12 avril. Les employés circulaient d’une chambre à l’autre, d’une aile à l’autre sans équipements de protection pour éviter la contamination des résidents. J’ai souvent eu comme réponse à mon inquiétude « nous n’avons pas la consigne de porter des équipements de protection ».

Le rôle occulté des proches soignants

Bien avant la pandémie, le dysfonctionnement et le chaos dans l’établissement étaient déjà chroniques à tous les niveaux. L’instabilité est la règle du jeu dans la gestion du personnel et des services. Les proches soignants doivent s’armer de patience et faire preuve de persévérance pour dépasser la tendance générale du système à résister à leur collaboration.

Je sympathise beaucoup avec les familles tenues systématiquement dans l’ignorance sur la condition de leurs proches dans ces résidences pendant la crise. Sur les 10 % des familles présentes auprès de leurs proches, un très petit nombre s’impliquent dans les activités de soins. Le sentiment d’abandon est une des causes déterminantes de leur dépérissement rapide ! J’invite les familles à s’impliquer directement dans les soins de leurs proches.

Dans le contexte actuel, la caméra est le seul moyen de pallier l’absence d’encadrement et de surveillance du personnel et de connaître les soins réellement prodigués à nos aînés. Elle m’a permis de monitorer les services de soins et de surveiller en tout temps la sécurité de notre très cher ami. Malgré la douleur, je sais ce qui s’est passé !

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