En observation depuis une dizaine d’années, la fissure dans le solage doit être surveillée de plus près, car la hausse du chômage pourrait lézarder les fondations du marché immobilier résidentiel.

Depuis la récession précédente, il y a 11 ans, les bas taux d’intérêt ont encouragé l’achat de logements de plus en plus chers. Le prix moyen des maisons et condos dans les grandes villes canadiennes a grimpé de 94 %. La progression fut moindre à Montréal, à « seulement » 61 %, mais plus forte à Toronto, à 158 %, selon les indices Teranet Banque Nationale.

L’endettement des ménages canadiens est devenu un des plus élevés des pays développés. Certains critiques y voient une bulle spéculative prête à éclater.

Dans les simulations de la Banque du Canada, le choc qui pourrait entraîner de nombreux défauts de paiement, des ventes forcées et par conséquent une baisse du prix des propriétés, n’a jamais été une hausse brutale des taux d’intérêt, un scénario peu vraisemblable au demeurant, mais plutôt une forte montée du chômage lors d’une récession1. Or, nous y sommes.

Si les taux augmentent, on peut se serrer la ceinture pour payer des mensualités un peu plus élevées, mais à moins d’avoir un bon coussin, on risque de perdre sa maison si on a perdu son emploi et qu’on tarde à le remplacer. D’après la banque centrale, environ 20 % des emprunteurs n’ont pas assez d’épargne liquide pour couvrir deux versements hypothécaires mensuels.

Un répit salutaire

Fort heureusement, les banques ont permis à 15 % des emprunteurs canadiens de reporter leurs paiements hypothécaires pour des périodes de trois à six mois, proportion qui pourrait grimper à 20 % d’ici septembre. Les chômeurs ont aussi profité de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) qui, dans bien des cas, n’a pas été dépensée entièrement.

Curieusement, le report des paiements est nettement plus populaire au Québec qu’ailleurs au pays, même si l’endettement y est moindre, avec des maisons moins chères, et qu’une plus faible proportion des ménages sont propriétaires.

On peut penser que certains ont demandé un report au cas où.

Le vrai test viendra donc cet automne, à l’échéance des reports et à la fin de la PCU, et dépendra beaucoup du chômage élevé qui subsistera.

Ce sont en effet les propriétaires au chômage et lourdement endettés qui menacent d’aggraver la fissure dans le solage du marché immobilier. Ces dernières années – et un cran de plus à compter du 1er juillet –, les régulateurs et la Société canadienne d’hypothèques de logement (SCHL) ont resserré les critères d’octroi des prêts. N’empêche que l’an dernier 16 % des nouvelles hypothèques furent accordées à des personnes très endettées.

Les chômeurs de la COVID-19 se retrouvent en plus grand nombre dans les secteurs de la vente au détail, de la restauration, des loisirs, de la culture et du tourisme, des domaines regroupant plus du cinquième des emplois, où la reprise sera lente et où les salaires sont généralement faibles.

À Montréal, ces chômeurs sont plus susceptibles d’être locataires, car y être propriétaire coûte en moyenne 43 % du revenu du ménage médian, selon l’indice d’abordabilité de RBC. Pire à Toronto et à Vancouver, où les statistiques sont de 68 % et 80 %. En revanche, les locataires incapables de payer leur loyer pourraient menacer les petits propriétaires lorsque la PCU sera épuisée.

Déséquilibre de l’offre et de la demande

Avant la pandémie, les forces du marché poussaient les prix à la hausse. Elles tirent maintenant à la baisse. Malheureusement, beaucoup de propriétaires verront leurs maisons saisies par les banques, des reprises de finance qui augmenteront l’offre sur le marché immobilier. Par contre, on peut s’attendre à ce que les promoteurs marquent une pause après avoir complété les projets de construction en cours.

On doit aussi s’interroger sur le comportement des investisseurs, canadiens ou étrangers, qui comptaient sur des gains rapides. Seront-ils patients dans un marché baissier ? Moins nombreux, les propriétaires de condos loués aux touristes de passage devront trouver des locataires à long terme ou être forcés de vendre, s’ils n’ont pas les reins solides.

Du côté de la demande, la difficulté à trouver un emploi ou la perte de confiance pourraient dissuader les jeunes couples qui souhaitent acheter leur premier chez-soi, malgré des taux hypothécaires à la baisse.

Un facteur lourd sera l’immigration, qui ralentira avec la pénurie d’emplois. Les nouveaux arrivants ont jusqu’ici fortement contribué à la hausse de l’immobilier dans les grandes villes.

Le marché immobilier varie beaucoup selon les provinces, les villes, voire les quartiers. Par exemple, il fléchit en Alberta depuis deux ans, à la suite de la dégringolade du pétrole, et reste le plus vulnérable au pays.

Cela dit, bien que toutes les prévisions soient sujettes à caution dans la crise actuelle, la SCHL estime que le prix moyen des habitations pourrait baisser de 9 % à 18 % au cours des 12 prochains mois, selon la vigueur de la reprise. À Montréal, elle prévoit à l’automne une baisse minimale de 8 %, récupérée au début l’an prochain, et une baisse maximale de 13 %, qui n’est pas entièrement rattrapée à la fin de 2022.

Mais pour la plupart des propriétaires qui ont profité d’une plus-value substantielle de leur maison ou condo, un tel recul ne serait pas plus dramatique que les pertes sur papier des investisseurs en Bourse. Ce sont les acheteurs très endettés et au chômage qui sont à risque.

1 Les tests de tension menés périodiquement par la banque centrale visent à évaluer la capacité des banques d’absorber des pertes importantes, notamment sur leurs prêts hypothécaires. Malgré des scénarios catastrophe, elles s’en tirent toujours très bien grâce à l’assurance hypothécaire et à leur forte capitalisation, ce qui n’est pas nécessairement le cas de leurs clients.

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