En 1920, le célèbre botaniste frère Marie-Victorin publia dans Croquis laurentiens une étude consacrée aux richesses végétales des Îles de la Madeleine. Au début du siècle, une agriculture de subsistance soutenait la petite communauté insulaire. Au fil du temps, le secteur agrotouristique se développa sans qu’il y ait de véritable loi sur la protection du territoire agricole. À l’été 2017, je quittai Montréal pour aller rejoindre des fermiers établis à Bassin, une localité située à l’extrémité sud de l’archipel. Moi qui m’attendais à récolter des carottes et des choux tout l’été… j’étais dans le champ !

Au premier matin, mon œil émerveillé repéra des sillons de céleris et de persil de mer, tout près de l’anse à quelques pieds seulement du haut cap dunaire. Non loin de là, à l’orée d’une crique vertigineuse, j’aperçus de la menthe sauvage qui poussait à travers la catherinette dissimulée sous l’épave d’un vieux bateau de pêche.

La semaine suivante, je marchai dans la serre de tomates avec à ses pieds une ruelle de basilic, sans oublier les capucines, les bourraches et les impatientes qui n’en finissaient plus de vouloir fleurir. Je vis des aubergines gorgées de mauve, des concombres géants et des betteraves qui sortaient courageusement de terre.

Et puis, à la jonction du chemin Millerand, je découvris dans une forêt centrale l’impossible au milieu de l’Atlantique : des verdures asiatiques, des brocolis, de l’ail, et même des laitues Boston qui se tenaient bien droites contre vents et marées. Au fur et à mesure que l’été se dessinait sans pluie, ce Klondike apparaissait comme un mirage maritime, digne d’une prestidigitation de valeureux maîtres maraîchers.

Du haut de la butte à Cap-aux-Meules, je voyais le grand traversier arriver tous les jours avec à son bord des cargos de nourriture. Vous auriez dû voir les milliers de vacanciers qui débarquaient au quai avec des milliers d’autres laitues. C’est loin, Boston, c’est très loin. Au supermarché, les gens ne semblaient pas faire la différence entre les nobles tomates des Îles et celles de Mexico.

En fait, la plupart de ces touristes défilaient sur le grand chemin, à la recherche de la prochaine parcelle de paysage à vendre et rapidement. J’ai réalisé que cet admirable panorama se négociait à prix d’or.

À l’arrivée de l’automne, un homme de la grande ville frappa à notre porte ; il avait besoin du tracteur de l’agricultrice. Il voulait construire sa nouvelle grande demeure sur le terrain de pionnières jardinières, juste à côté des nôtres. Vous auriez dû voir ma patronne se fâcher dans un mélange d’accent madelinot et d’Europe de l’Est ; le monsieur cravaté tourna les talons assez vite afin d’éviter les projectiles légumiers qui lui étaient destinés.

À vous, chers paysans qui travaillez bravement la terre dans un climat aride vulnérable aux multiples tempêtes, je vous souhaite un été des plus lumineux. Les touristes qui auront la chance d’atteindre vos belles îles participeront sans aucun doute à votre effort de guerre. Dans le contexte actuel, les forêts nourricières et les champs marins devront se multiplier, et ce, au bénéfice de toute la communauté. J’espère que c’est maintenant un devoir de citoyen que de planter des melons et des choux, parce que oui, ça pousse aux Îles-de-la-Madeleine, même les choux de Bruxelles.

Et peut-être que dans 50 ans, on entendra les gens rêver d’un grand jardin aux Îles.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion