Voici le troisième d’une série de textes d’opinion sur les effets sociaux à long terme de la pandémie, rédigé par des membres du Comité sur les impacts de la COVID-19 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau

Depuis le début de la pandémie, nous avons constaté comment les inégalités multidimensionnelles qui existaient déjà dans le monde ont été mises à nu par la COVID-19. Alors que les disparités ethnoraciales et d’âge sont la cause directe d’un grand nombre de décès liés au coronavirus en Amérique du Nord, le statut d’étranger des résidents temporaires tels que les travailleurs agricoles migrants, les anges gardiens et les étudiants étrangers a exposé leur situation précaire au Canada et au Québec, tout en limitant leur accès aux mesures de secours qui sont disponibles pour les citoyens canadiens et les résidents permanents du Canada.

S’il y a une leçon à tirer jusque-là, c’est que ces inégalités, qui sont structurelles et systémiques, nécessitent que nos gouvernements et sociétés civiles adoptent une vision plurielle et intersectionnelle pour penser le monde post-pandémique.

Vision étatique plurielle de nos politiques publiques

Une vision plurielle du monde — basée sur une pluralité de façons de penser et d’agir — doit reconnaître la façon dont les disparités socioéconomiques et politiques entre des pays à fort revenu, comme le Canada, et d’autres pays à revenu faible et intermédiaire, structurent leur vulnérabilité et leur réponse face à la pandémie de COVID-19.

Une vision plurielle du monde doit aussi tenir compte de l’effet dévastateur des politiques d’immigration d’État, telles que les expulsions et le traitement différentiel, voire inhumain, des résidents temporaires, des demandeurs d’asile et d’autres personnes migrantes dans la lutte contre la propagation du virus. En effet, le confinement forcé des personnes étrangères dans les avions lors des expulsions ou dans les fermes agricoles dans des conditions inhumaines est l’un des axes que les États doivent repenser dans leurs mesures de réponse aux pandémies.

Par ailleurs, les États dont le passé impérialiste et colonialiste continue d’avoir des répercussions néfastes sur leurs anciennes colonies devenues « indépendantes », à l’instar d’Haïti, doivent reconsidérer leurs relations internationales et leurs politiques étrangères à l’égard de ces pays.

Pour faire face aux enjeux post-pandémiques, il faudrait reconsidérer ces relations politiques internationales et repenser les normes et structures actuelles de gouvernance de l’économie globale à l’échelle régionale et nationale. Tout cela, en luttant contre des pratiques qui violent les droits des personnes mises en situation de marginalisation, telles que les migrants et les personnes racisées noires, par exemple.

Réponse intersectionnelle de la société civile

La vision plurielle de l’État doit être accompagnée d’une réponse intersectionnelle de nos sociétés civiles, s’inscrivant dans le cadre d’une citoyenneté responsable. Cela est impératif pour comprendre comment nos caractéristiques sociodémographiques telles que la « race », le revenu, le genre, la sexualité, la nationalité, le type d’emploi, le lieu de résidence, la langue parlée, l’affiliation politique, entre autres, conditionnent nos perceptions du monde ainsi que nos actions en tant que citoyens.

Une telle réponse sera vitale pour rendre nos États responsables de leurs promesses de changements post-pandémiques. En effet, l’histoire humaine nous a montré que les transformations sociales ne viennent pas seulement de la promulgation de nouvelles lois et de politiques publiques, mais aussi d’un changement culturel profond des façons de penser, de faire et d’agir au sein de la société civile.

Sans un changement culturel profond de nos habitudes et une ouverture d’esprit pour adapter nos actuelles perceptions et actions au monde pluriel et multiculturel dans lequel nous vivons, nos tentatives de transformation sociale après la pandémie de la COVID-19 sont vouées à l’échec. À titre d’exemple, les récents meurtres de personnes noires et autochtones par des policiers blancs américains et canadiens nous montrent comment les séquelles du système raciste de ségrégation entre les Blancs et les Noirs, ainsi que les autochtones, tuent nos populations non blanches à un rythme frénétique.

Pour répondre aux grands défis post-pandémiques, l’heure n’est plus à la tenue de discours politiquement corrects par nos gouvernements et institutions de la société civile qui n’aboutissent à aucune action concrète. Dans les changements post-pandémiques, on doit rigoureusement et scientifiquement confronter les discours visant à nier les conditions structurelles et systémiques qui marginalisent certaines catégories de nos populations, notamment les Noirs et les autochtones. On doit aussi montrer comment ces discours privilégient le statut et les conditions de vie d’autres catégories de personnes, en l’occurrence les classes dirigeantes blanches.

À cet égard, la période post-pandémique ne doit pas être encombrée de décisions palliatives temporaires, mais de changements structurels et systémiques. Notre réponse post-pandémique doit céder la place à des conversations inconfortables sur le racisme systémique et institutionnel, tel que le racisme anti-noir, qui imprègne les différents aspects de nos vies de citoyens.

Pour apporter des changements concrets dans le monde, il est temps que nos gouvernements et sociétés civiles aient le courage de regarder nos passés historiques marqués par la colonisation, l’extraction de biens et de terres, l’oppression, l’exclusion et la marginalisation de certains groupes au profit d’autres. Cela est une condition sine qua non pour la mise en place de valeurs de vivre ensemble, de justice et de réconciliation.

La semaine prochaine : Identifier et combattre la désinformation liée à la COVID-19, un texte de Tim Caulfield

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