Je ne verrai pas Donald Trump s’affaler après avoir fait cul sec d’un Lysol-on-the-rocks. Je ne lirai pas le 50e roman de Louise Tremblay d’Essiambre. Je ne rirai pas de la tête d’Edmond en 2030 au moment où il découvrira la palette que j’ai accumulée pour lui dans un REEE.

Je mourrai sur la voie Camillien-Houde. Cet été. J’ai déjà fait repeindre mon vélo en blanc.

La voie Camillien-Houde, c’est notre Alpe-d’Huez à nous. Seul réel « col » de Montréal, c’est la pente un peu chienne que bien des adeptes de la petite reine souhaitent un jour maîtriser. J’étais rempli d’espoir : ces deux derniers étés, de brillants personnages avaient choisi de rendre plus complexe l’accès aux véhicules motorisés sur cet axe joyeusement prisé des grimpeurs de tout acabit.

En effet, en 2018 et en 2019, on a testé de nouvelles configurations de circulation qui visaient une variété d’objectifs, allant de « laisser le mont Royal respirer de la bonne air » à « éviter les bouchons de circulation dans le plus beau parc de Montréal » en passant par, alléluia, « mettre en œuvre un environnement plus sécuritaire pour les pédaleurs qui viennent s’y amuser » dans la foulée du décès d’un cycliste causé par le geste irréversible d’un automobiliste imprudent.

Excité par les exercices des deux derniers étés, au cours desquels j’ai presque oublié que j’allais un de ces quatre y laisser ma peau, j’avais hâte de connaître le « plan 2020 » pour CH, que je gravis plus de 700 fois par saison depuis 15 ans. Ah, on a bien annoncé, dans le contexte particulier que nous vivons ces jours-ci, une série de mesures pour faciliter le mouvement des vélos dans l’île, oui, mais sweet fuckall projet pour Camillien-Houde cet été.

Attends, tu me niaises ? Des centaines de bollards délimitant le carré de sable de chaque joueur au feu de circulation intermittent des dernières saisons, on passe à… rien-de-rien-pantoute en 2020 ?

On avançait pourtant à la vitesse grand V vers un dénouement formidable. Voilà qu’on fait marche arrière. Parce que OUI, on avait presque habitué nombre d’automobilistes à choisir un autre chemin que le mont Royal pour migrer de Westmount au Plateau, et les voilà déjà de retour en bloc comme les bibittes par temps chaud. Pire : en raison de la distanciation physique en vogue par les temps qui courent, son belvédère est fermé jusqu’à nouvel ordre, ce qui amène désormais les visiteurs à parker leur véhicule dans la voie elle-même, en marge des cônes qu’on y a placés, recipe for disaster annoncé pour quiconque sait ce que ça signifie au moment de descendre la belle côte – oui, oui, même à faible vitesse, madame Gagnon.

Du réel danger d’emportiérage à celui de voir un automobiliste reproduire la manœuvre qui a poussé dans la mort avant moi le pauvre Clément, un move répété teeeelllllement trop souvent chaque jour sur ce petit kilomètre et demi, couplé à une chaussée scarifiée par les chasse-neige et full fissures qui, lorsqu’elles sont réparées, ne le sont jamais par un col bleu qui a déjà enfourché un bécik plus d’une heure dans sa vie j’en suis convaincu (veux-tu savoir le nombre de testiculites aiguës que je me suis tapées au fil des ans, toi ?), considérée comme piste de course par un nombre impressionnant d’automobilistes qui nous épilent les papattes en nous frôlant de ridiculement près dans les virages, notre CH chérie s’est transformée au fil des ans en un terrain de jeu à très haut risque si d’aventure on a choisi le carbone pour avancer dans la vie plutôt que la bonne vieille tôle.

Cet été, je t’en signe un papier : je mourrai. Et je ne serai pas le seul.

Hier encore à 5 h 32 du matin, un gars m’a fait le coup du virage en U alors que je descendais ma huitième montée, dans la portion aveugle de Camillien-Houde de surcroît – tout là-haut, au feu clignotant. J’ai passé à ça de finir sur son hood. Pas pu m’empêcher de lui demander de baisser sa vitre, un peu en maudit, mais gardant mon calme je le jure, sachant que ma fin approche anyway : « Vous savez, han, qu’un cycliste est mort ici de cette façon-là ? » Réponse : « Oui, je le sais. » Bref, oui je le sais, pis je le fais pareil. Fuck you toé, m’en vas admirer la vue.

Pour l’admirer, la vue, au Machu Picchu, genre, t’as pas le choix : tu marches cinq jours dans la forêt ou bedon tu prends le train pis ensuite une navette parce qu’on a choisi, collectivement, d’y restreindre le nombre de touristes, pour un paquet de très bonnes raisons. Je chiale-tu moi ? Bin non. Je me tape la marche en forêt pendant cinq jours ou je prends la navette. Luc F. et son équipe ont choisi, un jour, collectivement, de modifier le sens des rues dans le Plateau. Je chiale-tu quand chus en auto ? Bin oui, ça m’arrive. Je manque-tu de mourir ? Bin non. Je m’arrange. Je trouve des solutions de rechange. L’être humain a ceci de grandiose : il sait s’adapter à presque toutes les calamités.

Qu’on me comprenne : je ne suis pas de ceux, plus radicaux, qui veulent sortir complètement les chars de la place, non. Cependant, je n’arrive pas à comprendre la raison pour laquelle on continue de voir cette montagne comme une voie de transit. En effet, le chemin Remembrance et la voie Camillien-Houde peuvent très facilement être contournés par quiconque souhaite se rendre d’un point A à un point B en voiture à Montréal. On l’a prouvé pendant deux étés. Qui en est mort ?

Dans une profusion de lieux du genre dans le monde, on propose des plages horaires sécuritaires où les cyclistes peuvent pratiquer leur sport favori sans danger. L’ennui, c’est qu’à Montréal, le projet de fermer le mont Royal à la circulation automobile, même pendant quelques heures, est digne de Kafka : ça prend le OK de la police, des pompiers, de l’arrondissement, des Amis de la montagne, des cols bleus, de Valérie, de Justin, de François et d’Élisabeth II. Mais pourquoi donc ? C’est pourtant super simple : tu places une barrière et t’écris « Pas accessible jusqu’à telle heure ». Je me frappe le nez à une signalisation du genre 47 fois par an quand je veux emprunter le tunnel Ville-Marie en auto. Je chiale-tu ? Des fois. Suis-je toujours vivant ? Bin oui.

Souhaitant étirer mon espérance de vie, je vais continuer d’aller sur Camillien-Houde aux aurores. Il y a biiin trop de monde là (et de monoxyde de carbone à inhaler) à la fin de l’après-midi et les jours de week-end. Cela dit, je vais quand même y finir mes jours. Ce n’est qu’une question de temps. On n’a pas encore trouvé la façon de faire cohabiter, intelligemment et sans danger, autos et vélos, malheureusement.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEUR DE CETTE LETTRE

Le 4 octobre 2017, Clément Ouimet descendait la voie Camillien-Houde sur son vélo. Il a percuté la voiture d’un conducteur qui faisait un virage en « U » pour faire demi-tour.

On avait juré que le décès de Clément Ouimet allait servir à quelque chose. Mais je suis outré : on a déjà oublié ce drame sans nom. Ça prendra une dizaine d’autres Clément avant qu’il se passe quelque chose ici. Jusqu’à ce qu’on rende officiellement la voie Camillien-Houde sans danger pour la gent vélocipédique, je demande qu’on plante son bike blanc de face, dans la sphatte du premier virage de CH, illuminé comme l’est la croix du mont Royal, question que chaque automobiliste l’aperçoive avant de commencer à slalomer entre les béciks, plutôt que de le laisser bien caché dans la forêt où il sert surtout à rappeler aux cyclistes leur mort prochaine au moment où ils abordent au bout de leur souffle le virage numéro trois.

Alors la police, les pompiers, Valérie et tutti quanti ? Peut-on le sortir de sa cachette, de grâce, le beau vélo blanc de Clément ? Peut-on s’en servir pour rafraîchir la mémoire à ces usagers de la montagne qui portent potentiellement atteinte à notre santé, voire à notre vie, chaque jour ? Qui sait si ça ne calmerait pas quelques Gilles Villeneuve en puissance en attendant que mon bike blanc à moi vienne se coller au sien ?

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