Je me nomme Bianca Beaumier, j’ai 19 ans et j’étudie en théâtre. La culture québécoise a toujours eu une place importante dans mon cœur. J’ai vu la culture menacée dernièrement. Puis, je me suis sentie interpellée par le changement drastique de se réinventer, avec lequel je suis en désaccord. Voici pourquoi.

On attend aux épiceries et aux magasins, puis on est patient. Pourquoi n’est-on pas patient avec la culture ? Pourquoi n’est-on pas capable d’attendre ? C’est simple, on a besoin de se divertir maintenant. On a besoin de tout maintenant. Puis en ce moment, on n’a pas les salles de spectacles ni les musées. Alors au lieu d’attendre de les retrouver, on se fait dire « Réinventez-vous ! » En quoi faut-il se réinventer ? A-t-on vraiment besoin d’arrêter toute forme d’expérience ? C’est ça, se réinventer ? Alessandro Baricco, auteur, nous dirait que nous sommes barbares (son essai sur la mutation, Les Barbares). Barbare dans l’attente. Barbare dans l’immédiat. Barbare dans notre divertissement. C’est simple d’être barbare quand un rien nous satisfait.

Par exemple, moi, jeune étudiante en art, je ne me considère pas barbare, même si la barbarie envahit notre société. J’ai cherché pendant longtemps à combattre celle-ci, en allant au théâtre ou au musée. Je trouve que prendre le temps de me cultiver, de répondre à des questionnements, c’est ma manière de contrer cette barbarie. Au musée, lorsqu’on a le droit à une visite guidée. Comme à ma dernière exposition au centre PHI, nous avions l’occasion d’échanger entre nos interprétations des œuvres et celle du guide. Nous avions une communication, et nous ne faisions pas que regarder, nous cherchions le pourquoi du comment en équipe. Nous vivions une expérience. Une expérience approfondie, en vivant certes des émotions d’appréciation, mais aussi en essayant de les comprendre. Je pense aussi au théâtre qui est une expérience. Une expérience unique, parce que tu dois te conformer à ce que tu vois du début à la fin, même si le contenu te choque ou t’ennuie. Tu dois t’engager dans ce que tu vois. Tu dois rester dans ton siège parce que ce n’est que le début.

Et puis, il y a eu le confinement. Les expériences culturelles se sont arrêtées.

Étant moi-même dépendante de toutes ces expériences culturelles, je suis la première à réagir. Je me dis que c’est impossible, mais inévitable. Je me demande, donc comment peut-on transgresser cette barbarie quand on n’a pas accès à ces expériences ?

J’avais réussi à ma manière de ne pas tomber dans le panneau de l’immédiat et de la surface avant le confinement. Deux semaines y sont passées, et je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter les premiers radio-théâtres offerts. J’étais un peu réticente au début, parce que je n’avais pas le visuel que j’avais l’habitude d’avoir. Après 10 minutes d’écoute, j’ai décroché. Est-ce que j’aurais décroché au théâtre ? Peut-être, mais je me serais dit que ce n’est que le début. Par contre, dans mon lit, j’ai décroché. Je me suis dit bon tant pis, je vais aller écouter mon émission à la place. J’ai été moi-même barbare, et pourtant j’aime le théâtre. Pourquoi ai-je décroché ? Je me suis rendu compte que j’ai écouté ce radio-théâtre que pour satisfaire mon besoin théâtral. Je ne cherchais pas une expérience. Je ne cherchais pas à me questionner ou me positionner. Je me suis divertie en surface, comme une vraie barbare.

J’ai réalisé que la ligne entre la barbarie et celle de nous cultiver était très mince. Une compagnie théâtrale qui change sa plateforme pour devenir virtuelle, devient-elle barbare ? Pourquoi ces compagnies théâtrales n’attendent-elles pas que cette crise soit finie ? Parce qu’ils ne sont pas non plus rémunérés, donc ils ne le font pas pour l’argent. Le font-ils pour nous divertir ou pour qu’on garde nos sorties culturelles dans notre confort ? Je ne sais pas si c’est une question d’adaptation à une crise. Parce qu’aller au théâtre, ce n’est pas avoir accès à mon téléphone, à ma collation de fin de soirée, ni au choix de mettre sur pause. L’expérience, c’est d’avoir faim durant la pièce ou de se demander l’heure qu’il est. Je crois qu’on se rend compte de l’importance de cette proximité entre les comédiens et nous tout comme entre le public et le chanteur. Pourquoi faut-il absolument qu’on crée un live Instagram pour avoir accès à ça ? On ne peut pas simplement attendre de s’y retrouver ? Non, parce qu’on est barbare.

Nous avons besoin d’être divertis, de nous changer les idées immédiatement. Nous ne sommes pas capables d’attendre une vraie expérience. Donc, on se dit que la solution c’est de se réinventer. Pourquoi faut-il vraiment qu’on réinvente cette expérience qui nous suit depuis des siècles ? Je crois que l’on peut créer de nouveaux médiums, mais je ne crois pas qu’il faut à tout prix se réinventer. Ce n’est pas parce qu’on est créatif qu’on doit se réinventer. Nous aussi on est épuisé, mais j’attends patiemment l’expérience devant mes yeux. Je n’attendrais pas une expérience derrière un écran pour toujours. Parce que le théâtre et les musées n’ont pas été créés pour être vécus seuls.

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