Le laxisme, l’irresponsabilité et l’improvisation reprochés au ministère de la Culture et des Communications par le Vérificateur général du Québec n’étonneront évidemment pas tous ceux qui, sur le terrain, se désolent depuis plusieurs années d’être laissés à eux-mêmes.

Quand on connaît la prudence et la rigueur avec lesquelles le Vérificateur aborde les questions sur lesquelles il se penche, on voit mal comment le Ministère pourrait rejeter du revers de la main la critique extrêmement sévère qui vient de lui être assénée en matière de patrimoine.

La ministre actuelle aura beau soutenir que son gouvernement doit réparer les pots cassés par ses prédécesseurs, il n’en reste pas moins que sa feuille de route n’offre jusqu’à présent rien qui pourrait rassurer. En fait, si les gouvernements successifs ont, au cours des trois dernières décennies, traité la sauvegarde et la valorisation du patrimoine comme une mission de second ordre, c’est que le patrimoine n’est plus une véritable affaire d’État.

La débâcle a commencé avec le transfert, sans ressources professionnelles et financières, d’une grande partie du champ patrimonial aux municipalités locales.

Que le Québec ait souhaité, comme plusieurs autres États l’ont fait à l’époque, responsabiliser et impliquer les collectivités locales était d’autant plus justifié que l’expansion du champ patrimonial ne permettait plus de se confiner dans le registre du monument exceptionnel. Mais, au Québec, cela s’est fait, comme en d’autres domaines, sur le mode du délestage.

La conception même du rôle que s’est attribué le Ministère en témoigne. Qu’il se soit réservé l’attribution des statuts de protection aux biens considérés d’intérêt national pouvait se défendre. Encore aurait-il fallu qu’on sache de quoi il s’agissait. Mais que le Ministère justifie, ce faisant, son inaction en matière de protection et de valorisation des patrimoines d’intérêt régional ou local, était inacceptable. Le Ministère aurait dû rester responsable de l’ensemble du patrimoine québécois, ne serait-ce qu’en s’assurant que les choses étaient faites correctement. C’est pourquoi le Vérificateur général peut insister sur les nombreux ratés du partenariat avec les collectivités territoriales régionales et locales dans lequel s’est engagé le Ministère à compter du milieu des années 1980.

Ces ratés n’excusent évidemment pas la facilité avec laquelle plusieurs municipalités se sont défilées. Mais c’est justement dans ces circonstances qu’on se serait attendu à ce que le Ministère intervienne. Comme on se serait attendu qu’il le fasse lorsque d’autres ministères ou des organismes gouvernementaux ont traité à la légère le patrimoine public. Or, il ne l’a fait que poussé dans ses derniers retranchements par l’opinion publique. C’est en ce sens que je soutiens que le patrimoine n’est plus une affaire d’État.

Définir le patrimoine

Cela étant dit, un autre problème doit être soulevé. Le Vérificateur général souligne avec à propos l’absence de définition claire de ce qu’est le patrimoine. Il ne lui revient toutefois pas d’en proposer une. Aussi le rapport laisse-t-il dans un angle mort le décalage croissant entre une conception architecturale du patrimoine et une conception territoriale. On a fait grand cas, au cours des trois dernières années, des nombreuses démolitions de bâtiments anciens et de la précarité de plusieurs autres, plus ou moins sciemment laissés à l’abandon. Mais on a rarement souligné à quel point cette situation est souvent attribuable à la manière dont sont planifiés les milieux où se trouvent ces bâtiments. C’est souvent à l’échelle du voisinage ou du quartier que s’amorce l’érosion patrimoniale. Déjà dans les années 1950, Gérard Morisset et Georges-Émile Lapalme soutenaient qu’il fallait mobiliser l’urbanisme pour mieux relever le défi de la protection et de la mise en valeur du patrimoine.

Or, non seulement cette mobilisation n’est toujours pas suffisamment assumée, mais on tarde à reconnaître que la problématique du patrimoine ne se décline plus aujourd’hui sur un mode strictement architectural.

On me rétorquera que les statuts d’arrondissement historique et de site du patrimoine et que l’obligation inscrite à la loi sur l’aménagement et l’urbanisme d’identifier des territoires d’intérêt rendent compte de cette évolution. Mais encore faudrait-il que l’urbanisme et l’aménagement du territoire prennent formellement en charge cette dimension patrimoniale, ce qui est loin d’être acquis, comme le montrent plusieurs exemples montréalais récents où les pressions immobilières sont soutenues, voire engendrées par les partis urbanistiques privilégiés.

L’adoption d’une politique nationale du territoire réclamée depuis quelques années par L’Alliance Ariane pourrait être l’occasion d’une redéfinition du concept de patrimoine et d’une prise en charge explicite de cette dimension à une nouvelle échelle de pertinence. Mais encore faudrait-il que l’État québécois, via le ministère de la Culture et des Communications, renoue avec une conception ambitieuse de sa mission.

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