Je suis née au Québec, je suis québécoise, le français est ma langue maternelle. Je suis aussi argentine, je parle espagnol, j’ai vécu en Amérique latine et je m’y sens chez moi. Ces deux faits ne sont pas mutuellement exclusifs, mes deux identités cohabitent à part entière, pas comme des moitiés.

J’ai longtemps été certaine qu’être québécoise, c’était être établie ici, participer à la vie citoyenne, y élever ses enfants. Je n’en suis plus sûre.

Comme je le disais, je suis québécoise. Au Québec, j’ai l’accent, les références culturelles (allô Watatatow), je me fonds dans la masse parce que je suis plutôt pâle et mes traits sont passe-partout. À Buenos Aires, j’ai l’accent, plusieurs références culturelles (Aguante Montañas Rusas !), je me fonds dans la masse parce que je suis plutôt pâle et mes traits sont passe-partout. Je suis chanceuse.

On ne me questionne jamais sur mes valeurs, à savoir si elles sont assez québécoises. On ne me demande que très rarement d’où je viens et si on le fait, c’est avec enthousiasme et sympathie pour le pays de mon père. On ne me dit jamais de retourner dans mon pays.

Ce n’est pas le cas pour certains de mes magnifiques cousins.

Mes cousins sont québécois. Ils sont nés ici, ont toujours vécu ici et leur langue maternelle est le français. Nous avons grandi dans le même quartier et fréquenté les mêmes écoles. Même s’ils sont aussi québécois que moi, sinon même plus, pourrait-on dire, on ne leur réserve pas le même traitement. À la différence de moi, un de leurs parents est noir. À la différence de moi, on leur demande d’où ils sont avec méfiance, on les questionne sur leur québécitude, ils sont victimes de profilage racial, on les insulte, ils ont statistiquement moins de chances de se trouver un emploi. À la différence de moi, ils n’ont pas de sauf-conduit, ils n’ont pas de deuxième chance. Simplement parce que la couleur de leur peau est différente de la mienne.

Alors, quand, en commentant le soulèvement antiraciste aux États-Unis, le premier ministre François Legault ose dire qu’il n’y a pas de racisme systémique au Québec, je m’inquiète pour mes cousins. Je m’inquiète pour ceux qui ont une autre culture, un autre pays et qui sont trop visibles, selon certains, de par leur couleur de peau, leur nom, leur religion.

Quand le premier ministre de la province qui m’a vue naître et que j’aime comme un pays dit qu’il n’y a pas de racisme systémique, j’ai honte, j’enrage et j’ai envie de pleurer.

J’ai honte du fait que les privilèges dont je jouis tous les jours me sont octroyés aux dépens de mes cousins, aux dépens de milliers de Québécois dont on nie l’expérience raciste. J’enrage parce que j’ai l’impression que peu importe ce que l’on fait ou dit, la situation ne change pas. Ce n’est pas d’hier que les personnes racisées, autochtones et que l’on marginalise sont victimes de brutalité policière et de discrimination, rapports à l’appui. Je pleure parce que tous les jours, les droits de membres de ma famille sont bafoués.

La mort de George Floyd aux États-Unis et celle de Regis Korchinski-Paquet à Toronto me poussent à aller plus loin dans mes réflexions. Ils me rappellent à nouveau toutes les fois où j’ai été témoin d’actes ou de paroles racistes et que je n’ai rien dit. Par peur dans certains cas (peur pour ma réputation, peur de perdre mes privilèges), par inconfort ou paresse dans d’autres. Je réfléchis au poids des mots, à la force des symboles, que ce soit dans les médias, dans l’espace public ou dans notre vie personnelle. La lutte contre le racisme systémique sous toutes ses formes est un effort collectif, ce n’est pas simple, ce n’est pas toujours agréable et il n’y a pas de perfection à atteindre. C’est un travail constant. Et c’est ce qui fait sa beauté.

J’aimerais vous exhorter à aller au-delà des médias sociaux et à réfléchir aux actions concrètes que nous pouvons poser afin d’être activement antiraciste. Aujourd’hui, je suis plus convaincue que jamais qu’être activement antiraciste est une nécessité.

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