Le meurtre odieux de George Floyd, tué consciencieusement par un policier blanc au Minnesota, continue de susciter une indignation mondiale.

Au-delà de cette tragédie de plus, devenue courante au sein d’une société américaine captive d’un résiduel racial, ce sont les ressorts psychologiques et politiques qui rendent indéracinable la réification de l’homme noir qu’il faut interroger. Car cette banalité à recourir à la violence en ce qui concerne l’homme noir, en Amérique et à travers le monde, est probablement liée à une certaine représentation que l’on se fait des personnes noires. Du moins, il existe un imaginaire du Noir, produit par des rapports historiques de domination et entretenu par l’échec politique de l’Afrique, qui ravale celui-ci dans l’univers des objets, de la matière et des animaux.

À bien des égards, le monde contemporain, incluant l’Afrique elle-même, ne s’est pas affranchi des imaginaires dépréciatifs et dévalorisants qui ont jadis lié la chair noire au sort des marchandises. C’est la persistance de cet imaginaire réducteur et déshumanisant qui pourrait expliquer, entre autres, le fait que la relation entre les Noirs et certains policiers blancs demeure encore dominée par les catégories de la violence et de l’humiliation. Comme en témoignent les rapports sur le profilage racial…

Le mal-aimé du temps

De manière générale, la condition mondiale de l’homme noir n’est pas enviable. Et pour comprendre l’insignifiance dont les populations noires font l’objet aux États-Unis et au-delà, il faudra, tout en étant conscient de la spécificité du racisme institutionnel américain, comprendre l’idée que l’on se fait des Noirs à travers le monde.

Bien que les situations d’injustices soient différentes et qu’il serait difficile de subsumer les souffrances dont les Noirs du monde font l’objet sous une seule catégorie explicative, on peut voir, à travers certaines publicités en Chine et en Occident, des pratiques de discrimination dans le monde arabe et en Amérique latine, que persiste une relation irrationnelle et sentimentale à l’homme de couleur noire. C’est là un héritage des justifications historiques qui ont rendu possibles les différentes formes de l’esclavage.

Il persisterait encore l’idée que l’homme noir ne se serait pas encore affranchi de la proximité du règne naturel dans ce qu’il a de sauvage et de l’animalité dans ce qu’elle présente de brutalités, d’où la banane est le signe pour mieux le symboliser. Exotique, ainsi se présenterait, aux yeux de certains Blancs, l’homme de couleur noire.

Comment alors ne pas comprendre ce recours à la banalité de la violence lorsqu’il s’agit des personnes noires ? Comment interpréter la brutalité gratuite de certains policiers blancs à l’égard des personnes noires, même lorsque ceux-ci ne représentent, visiblement, aucune menace ?

L’impression se dégage que devant certains policiers blancs, l’homme noir apparaît sous la forme d’un objet malléable sur lequel la volonté s’exerce conformément à ses désirs. Ainsi, on peut se demander, sans même souscrire à la thèse du racisme systémique, si, au sein de sociétés démocratiques libérales, le regard sur l’homme noir n’est pas encore déterminé par un résiduel racial qui infériorise les personnes de couleur noire.

Malédiction africaine ?

Lorsqu’on observe le traitement politique réservé aux Noirs en Afrique, mais aussi ailleurs, comme en Haïti, force est constater que pour l’homme de couleur noire, vivre, c’est vivre au voisinage de sa propre mort. C’est que dans la grande majorité des pays africains, la reconnaissance de la dignité fait l’objet d’une négation politique permanente : depuis 1960, l’Afrique a tué l’homme noir dans ce qu’il est en tant qu’être de dignité.

N’est-ce pas d’ailleurs sous la thématique de l’abolition de l’humain en l’homme que se présentait la littérature africaine postcoloniale ? Que l’on pense seulement à La vie et demie de Sony Labou Tansi, Le Soleil des indépendances d'Amadou Kourouma, Les crapauds-brousse de Thierno Monénembo. etc. Depuis les indépendances, le nature néo-patrimoniale et les logiques autoritaires qu’elle déploie ont rendu les terres africaines inhospitalières à la dignité humaine. Comme en témoigne le désir de désertion qui ravage une grande partie de la jeunesse africaine et l’entraîne dans les sentiers périlleux de l’immigration clandestine.

C’est d’ailleurs en critique au pouvoir politique postcolonial que certains écrivains africains ont estimé à juste titre que la violence du Noir à l’égard du Noir est pire que celle du Blanc à l’égard du Noir. Parce que justement, on espérait, après des siècles d’esclavage et de colonialisme, un regard politique valorisant sur l’homme de couleur noire.

Sans établir une relation de causalité entre la situation politique de l’Afrique et les injustices que vivent ailleurs les personnes noires, toute la question est désormais de savoir si la négation de la dignité de l’homme noir qui caractérise les politiques en Afrique n’a pas un impact sur le regard infériorisant et réifiant que les autres à travers le monde portent sur l’homme noir. Plus fondamentalement, l’Afrique, comme le croyait Malcom X, pourrait-elle être le berger de tous les peuples africains partout dans le monde ? Auquel cas, le sort des Noirs à travers le monde sera lié au sort de l’Afrique ?

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