Un trouble mental présent avant la pandémie augmente le risque d’en développer un par la suite

Les yeux rivés sur la courbe des cas d’infection, le regard fuyant celle des morts, on voit déjà se dessiner la prochaine vague. En effet, les résultats atterrants des premiers sondages, quelques titres alarmistes dans les journaux et certains témoignages bouleversants nous annoncent déjà que notre santé mentale est menacée. Devrait-on s’en inquiéter ?

Les réactions psychologiques face à la menace d’une infection potentiellement létale prennent leur source dans des programmes de survie millénaires. Notre peur et notre réponse à la séparation et au deuil, modulées par nos expériences, s’expriment par une multitude d’émotions et de comportements, parfois très intenses, mais qui ne sont a priori ni anormaux ni pathologiques. De fait, les niveaux élevés de détresse mesurés au sein de la population ne devraient pas nous troubler, car les trajectoires de rétablissement ou de résilience constituent la norme. Dans ces conditions, le sensationnalisme véhiculé par les médias ne favorise pas l’apaisement, pourtant bien utile pour la santé mentale.

En revanche, on ne peut nier que certaines personnes seront grandement et longuement affectées par la pandémie. À cet égard, deux groupes méritent toute notre attention : les personnes subissant une exposition élevée au virus ou à ses conséquences et celles qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité.

Ainsi, les survivants de la COVID-19 de même que les personnes ayant perdu un proche sans avoir pu l’accompagner dans ses dernières heures seront plus susceptibles de présenter des difficultés psychologiques. Bien évidemment, les travailleurs de la santé, exposés à un immense stress opérationnel, à des événements critiques et à la peur, s’inscrivent eux aussi dans ce groupe à haut risque. On ne devrait pas négliger certains travailleurs moins préparés aux conditions extrêmes, comme les préposés à l’entretien ménager, les travailleurs de la santé publique qui annoncent des dépistages positifs à la COVID-19 ou encore les employés des CHSLD, qui sont témoins de décès en série.

On parle beaucoup du trouble de stress post-traumatique. On peut avancer prudemment que 25 % des survivants de la COVID-19, 5 à 10 % du personnel soignant et moins de 1 % de la population générale pourront en être affligés. Ces chiffres dépendent de l’évolution locale de l’épidémie. Le syndrome est accablant, mais il sera moins fréquent que les troubles anxieux ou dépressifs.

Inégaux face à la crise

On observe par ailleurs, telle une tombée de dominos, la façon dont la pandémie frappe différemment les aînés, les itinérants, les autochtones, les migrants, les travailleurs en situation précaire et d’autres groupes marginalisés. La COVID-19 aggrave l’insécurité financière, la violence domestique, la stigmatisation ou les problèmes psychologiques préexistants. Ainsi, nous ne sommes pas égaux face à la crise, qui devient un révélateur des inégalités sociales.

Alors que l’on limite l’accès aux hôpitaux et que l’on force la migration des soignants vers les résidences pour personnes âgées, certaines voix s’élèvent pour maintenir les soins destinés aux personnes souffrant de maladies chroniques comme le diabète ou l’insuffisance cardiaque afin d’éviter le développement d’une autre courbe. Il en est de même pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale : un trouble mental présent avant la pandémie augmente le risque d’en développer un après la catastrophe.

Les interventions en santé mentale devraient être renforcées, mais c’est aussi dès maintenant qu’il faut prendre des mesures de prévention.

Cette prévention repose d’abord sur un leadership politique qui inspire la confiance, une communication transparente sur les risques et une approche éducationnelle favorisant la compréhension des menaces. Mais elle se déploie également de l’intérieur, de façon structurée ou informelle, au sein des familles, des équipes et des entreprises. Le soutien social est un des facteurs les plus puissants pour protéger la santé mentale des personnes. Tous les humains ont besoin de se sentir capables d’agir et connectés les uns aux autres. La pandémie a permis de révéler plusieurs facettes de notre interdépendance. Le sentiment d’appartenance ne se manifeste pas uniquement dans nos relations interpersonnelles, mais également dans notre culture, nos institutions, nos rituels, nos épiceries, nos salons de coiffure et sur nos places publiques.

De manière inattendue, la pandémie aura ainsi permis de prendre conscience collectivement des bienfaits de la santé publique – domaine pourtant sous-financé depuis des lunes. Mais la santé mentale est plus que l’accès aux services sociaux, psychologiques, psychiatriques ou de médecine familiale : c’est l’affaire de tous.

Souvenons-nous que chacune de nos actions a le pouvoir d’aplatir cette dernière courbe.

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