Comme d’habitude, le financement des déficits publics viendra des investisseurs institutionnels canadiens et étrangers, peut-être pour un peu plus que les sommes usuelles. Toutefois, pour absorber l’énorme débordement provoqué par la crise, c’est la Banque du Canada qui agira, pour la première fois de son histoire, comme prêteur de dernier recours des gouvernements.

C’est en émettant des obligations (et des bons du Trésor) que les gouvernements fédéral et provinciaux financent leurs déficits et refinancent la partie de leur dette qui arrive à échéance.

Le fédéral vend ses obligations lors d’enchères opérées par la Banque du Canada, tandis que les provinces utilisent des syndicats bancaires. Dans les deux cas, les banques achètent ces titres et les revendent principalement à leurs clients canadiens : caisses de retraite, assureurs et gestionnaires de fonds communs de placement.

D’autres clients sont étrangers, comme de grands gestionnaires de fonds mondiaux, des fonds de couverture ou des banques centrales qui consacrent une fraction de leurs réserves de change aux titres en dollars canadiens.

De temps à autre, les grandes provinces émettent des obligations en devises, surtout en dollars américains, destinées aux investisseurs étrangers. Elles cherchent alors à diversifier leurs sources de fonds et à profiter d’un coût parfois plus bas qu’au Canada. Ces emprunts sont ensuite convertis en dollars canadiens à l’aide de produits dérivés. Par exemple, début avril, Québec a emprunté 1,6 milliard en euros (2,4 milliards de dollars) à des conditions avantageuses.

Les étrangers vont et viennent

La part du financement tiré des investisseurs étrangers fluctue passablement au cours des ans, selon leur vue sur l’évolution du huard ou de l’opinion qu’ils ont du crédit de l’emprunteur.

Mais depuis la grande crise financière d’il y a 11 ans et pour un avenir prévisible, les étrangers sont surtout attirés par les rendements versés sur les obligations canadiennes, plus généreux qu’aux États-Unis (dans le cas des provinces) et nettement plus qu’en Europe et au Japon, où prévalent des rendements négatifs.

Les étrangers ont donc fortement grossi leurs portefeuilles d’émetteurs canadiens. Au début de l’année, ils détenaient 36 % des obligations du gouvernement fédéral et le quart des obligations provinciales en cours.

Québec réalise bon an mal an 20 % de ses émissions à l’étranger, principalement en dollars américains, mais aussi dans d’autres devises. En incluant les titres en dollars canadiens, c’est environ le tiers de sa dette qui est détenue par ces investisseurs.

Les prêts consentis par les étrangers diminuent les besoins d’emprunts sur le marché canadien. Nos institutions financières y sont des acheteurs naturels d’obligations, mais rien ne les oblige à tout prendre. En offrant moins de titres sur le marché local, les provinces peuvent en obtenir un meilleur prix, donc un taux d’intérêt plus bas (le prix et le rendement des obligations varient inversement).

La Banque du Canada à la rescousse

Avec les déficits qui explosent, l’offre d’obligations fédérales et provinciales risquait d’inonder le marché. Pour attirer les investisseurs, on aurait dû offrir des rendements de plus en plus élevés. Le coût de financement de la dette gouvernementale risquait d’exploser aussi.

En mars, le marché obligataire est subitement devenu illiquide, signe d’une tension annonçant la panique. C’est ce qui a motivé l’extraordinaire intervention de la Banque du Canada, qui s’est présentée sur le marché secondaire en achetant de grandes quantités d’obligations, promettant d’éponger ou presque l’offre excédentaire créée par la crise.

La Banque a annoncé de nombreuses mesures pour rétablir la liquidité. Mais les investisseurs du marché obligataire ont été particulièrement rassurés par l’engagement de la banque centrale d’acheter chaque semaine un minimum de 5 milliards de dollars d’obligations du Canada et pour les 12 prochains mois, un maximum de 50 milliards de dollars d’obligations provinciales. Ces montants seront rajustés au besoin, si les déficits sont encore plus grands qu’estimés au départ et que le marché montre à nouveau des signes de saturation.

Avec quel argent ? Simplement en tapant quelques chiffres sur un clavier d’ordinateur, la planche à billets des temps modernes.

Une banque centrale a donc ce pouvoir unique de créer de l’argent. Mieux encore, elle tirera un revenu appelé seigneuriage des intérêts gagnés sur les obligations qu’elle achète, revenu qu’elle versera en dividende au gouvernement fédéral.

Ce pouvoir exceptionnel doit être utilisé avec une très grande prudence, car les pays qui en ont abusé à travers l’histoire ont sombré dans l’hyperinflation. Ce risque est quasi nul dans le contexte actuel d’une profonde récession, à condition bien sûr que ce programme d’achat prenne fin lorsque l’économie retrouvera son souffle.

Les moins vilains canards

Les gestionnaires de portefeuilles obligataires ont des objectifs variables selon le type d’institutions où ils opèrent et le mandat qu’ils exécutent. Mais en général, ils n’aiment pas les risques indus et devant l’incertitude et la détérioration générale des bilans, ils auront tendance à préférer les moins vilains canards, bien qu’avec des taux ultra-faibles, ils devront gratter chaque point de base de rendement (100 points égalent 1 %).

Dans une excellente chronique, Francis Vailles a récemment expliqué que le Canada est entré dans la crise avec un des meilleurs bilans des pays industrialisés et qu’il devrait le rester au sortir. Beaucoup dépendra de la durée de la crise, mais la cote du Canada n’est pas en danger immédiat.

Le Québec, quoiqu’encore parmi les provinces les plus endettées, a démontré sa discipline aux yeux des agences de notation du crédit. Il jouit d’un mince avantage sur l’Ontario, tant pour la cote que pour le coût de financement, mais il déploie présentement des mesures budgétaires plus coûteuses.

Coût de financement

Au cours des prochaines années, outre l’évolution des ratios d’endettement, on devra suivre avec attention le service de la dette, soit le montant payé en intérêts. Pour ne pas perdre le contrôle des finances publiques, il faudra graduellement réduire à peu de chose les déficits, mais aussi espérer que le taux d’intérêt reste inférieur au taux de croissance nominal de l’économie.

Avant la crise, on estimait autour de 1,5 % le potentiel de croissance réelle de l’économie à moyen terme. En ajoutant les 2 % d’inflation ciblés par la Banque du Canada, on obtient une croissance nominale d’environ 3,5 %.

Il faudra donc que le coût de financement du gouvernement fédéral reste inférieur à 3,5 %, de manière durable, pour réduire progressivement le poids relatif de sa dette par rapport à la taille de l’économie.

Avec sa population vieillissante et sa productivité plus faible, on estimait le potentiel de croissance réelle de l’économie québécoise à environ 1 %, ce qui implique un coût de financement inférieur à 3 % pour obtenir un allègement similaire de la dette.

Peu avant la crise, les obligations à 10 ans du gouvernement fédéral lui coûtaient 1,25 %, aujourd’hui, seulement 0,5 % ! Pour le Québec, présentement un peu moins de 1,5 %.

Ces taux sont du jamais vu, mais il est fort probable qu’ils restent généralement faibles encore longtemps, d’autant qu’il faudra quelques années avant que l’économie ne retourne à son plein potentiel. Par la suite, si des pressions inflationnistes se manifestent, la Banque du Canada devra tenir compte de l’endettement élevé, non seulement des gouvernements, mais aussi des entreprises et des ménages, lorsqu’elle relèvera son taux directeur.

Il est beaucoup trop tôt pour faire les comptes. On ne connaît ni la profondeur ni la durée de la récession. Les gouvernements n’ont pas encore annoncé toutes les mesures de soutien temporaire et encore moins les mesures de relance. On sait seulement que la facture sera très lourde. Mais ces grands moyens éviteront probablement que la récession du Grand confinement ne devienne une seconde Grande Dépression, encore plus douloureuse.

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