La paralysie de l’entièreté des activités du Cirque du Soleil en raison de la pandémie a créé beaucoup de vagues, qui ont déclenché en moi une onde de choc pleine d’émotions. Même si je ne suis plus propriétaire de l’entreprise, j’en resterai toujours le fondateur ; j’y ai consacré la moitié de ma vie et j’aurai toujours à cœur sa réussite.

À l’aube des prochaines semaines qui risquent d’être cruciales pour l’avenir du Cirque, j’ai décidé de partager ici le fruit de mes réflexions, mû par mon immense respect pour la famille Cirque et le désir de redonner après avoir tant reçu, en espérant qu’elles pourront contribuer à assurer le meilleur avenir possible pour l’entreprise et l’ensemble de ses parties prenantes…

L’amour du public est la raison d’être du Cirque, et peu nombreux sont les vrais ambassadeurs de la culture québécoise qui peuvent se targuer de rayonner comme le fait le Cirque à l’échelle de la planète. Deux mois après la cessation des activités, alors que le Cirque fait face à l’un des plus grands défis de son existence, on assiste à un match de lutte où plusieurs joueurs sont prêts à sauter dans l’arène. De mon point de vue, un combat royal est en préparation : 

– à l’avant-plan, les actionnaires actuels du Cirque (TPG, Fosun et la CDPQ), menés par mon ami Mitch Garber pour qui j’ai énormément de respect et, en ces moments difficiles, aussi beaucoup de compassion ;

– dans le coin gauche, les détenteurs de dettes, qui ont pris le risque de financer le Cirque ;

– dans le coin droit, les différents ordres de gouvernement, qui occupent une place stratégique intéressante, observent ce qui se passe, analysent et souhaitent conserver le siège social et les emplois au Québec. Ils veulent ce qu’il y a de mieux pour le Cirque… et avec raison !

– plus loin, certains grands acteurs du domaine du divertissement, locaux ou internationaux, regardent les occasions qui se présentent à eux. Ils voient, dans le Cirque, la possibilité d’enrichir leur portfolio de contenus et/ou de s’assurer d’avoir accès aux contenus du Cirque en priorité lorsqu’ils pourront rouvrir leurs salles et théâtres. Or, ils vivent, pour la plupart, une réalité semblable à celle du Cirque. Sauront-ils donner priorité à notre fleuron québécois ainsi que tout l’amour et l’énergie dont il aura besoin pour reprendre vie ?

– juste à côté, les requins, qui n’ont aucune connaissance de l’industrie du divertissement et rêvent d’acheter le Cirque pour une bouchée de pain ;

– et dans le fond de l’arène, il y a les autres… ceux qui n’ont aucune compétence ni expérience dans la gestion d’entreprises culturelles de cette envergure. Les plus dangereux pour l’avenir du Cirque…

On va se battre pour quoi ? Que veut-on pour le Cirque ? Quel est son avenir ? Cette pandémie serait-elle l’excuse pour permettre au Cirque actuel de renaître de ses cendres, tel un phénix ?

Le Cirque est un organisme vivant, avec un cœur, une âme et un esprit, qui vit, grandit et se ressource à travers ses artistes, son public et ses employés.

Il jouit d’une communauté tissée serré et bâtie tranquillement, à force de collaboration, d’engagement et de relations humaines sincères. L’implication sociale du Cirque fait partie intégrante de la fierté qu’ont les artistes et employés à y travailler et qu’a le public à encourager ses créations. La discussion ne doit donc pas être uniquement financière ; elle doit aussi être humaine. Et il ne faut pas sous-estimer la nature de la bête. Le Cirque possède sa propre personnalité et ses façons de réagir. Il se nourrit de l’amour et du soutien du public ainsi que de la force créative et de la fierté des artistes et employés. Bien entendu, une viabilité financière à long terme est également nécessaire à sa survie, de même qu’un heureux mélange d’expérience et de savoir-faire des anciens, combinés à la force créative et managériale du futur.

Pour moi, il est clair que l’avenir du Cirque passera par des investisseurs patients qui se présenteront dans l’arène pour y rester longtemps. Il faudra donner le recul nécessaire aux créateurs pour se réinventer afin qu’ils puissent s’assurer de présenter des spectacles qui touchent les gens et marquent l’imaginaire. Fuir les investisseurs qui veulent sauter dans le ring sans pouvoir résister à la tentation de repartir la machine trop rapidement. La patience mènera au triomphe, c’est ma prédiction. On ne peut pas gagner la Coupe Stanley 36 ans de suite, mais à force de patience, de cœur et de travail acharné, on peut rêver de la tenir à nouveau entre nos mains.

À quelques jours de la date limite d’inscription pour le combat royal, j’en suis à décider si je reprends mon nom de lutteur afin de sauter dans l’arène…

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