Chaque jour, depuis le début du confinement au Québec, la population attend les statistiques du jour dévoilées à 13 h.

Nombre de cas, morts, hospitalisations, utilisation des soins intensifs. Jamais auparavant y a-t-il eu un intérêt pour des statistiques sur le système de santé québécois. Les statistiques du hockey, et du Canadien en particulier, avaient préséance !

On sait aussi que les statistiques détiennent la valeur d’avoir un impact potentiel sur l’avenir. Pour l’amateur de sport, dans le but de prédire la victoire ou la défaite, de suggérer l’acquisition d’un joueur pour combler les manques en défense ou en attaque que les statistiques ont mis en évidence et qui font mal paraître l’équipe de son choix.

Il faut espérer que la pandémie nous apprendra collectivement à voir les statistiques comme un atout, une donnée acquise scientifiquement qui permet d’ajuster nos actions collectives. Car, actuellement, dans plusieurs pans de notre vie collective en santé, ce n’est toujours pas le cas.

Les statistiques sur le cancer

Chaque année, des statistiques sur le cancer dévoilées au Canada contiennent toujours une distinction : ces données sont présentées à l’exclusion de celles du Québec. Pourquoi ? Elles sont inexistantes ou trop inexactes pour avoir valeur de référence !

Et ce n’est pas un fait nouveau. Le Québec est le cancre national des statistiques pour dénombrer les cas de cancer, le stade de la maladie au moment du diagnostic, les traitements donnés ou pas, le lieu de traitement le cas échéant, les taux de mortalité spécifiques, etc.

Tout au plus sommes-nous en mesure de déterminer la mortalité globale par cancer, ce qui a permis de déterminer que le Québec a été dans le peloton de tête des provinces qui ont défini que le cancer était devenu la première cause de mortalité. Et malgré ce fait, il n’y a pas eu plus d’énergie dévolue pour adéquatement décrire la situation québécoise dans son intervention en oncologie.

L’oncologie en temps de pandémie

Depuis le début de la pandémie et de la réduction draconienne des soins réguliers dans les centres hospitaliers, il est souvent mentionné que les soins aux cancéreux sont priorisés, que les urgences sont prises en charge, qu’il n’y a pas d’impact… 

Une telle affirmation est dure à soutenir. Le Québec, à l’instar de plusieurs autres territoires, a établi des temps maximaux pour initier un traitement (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) en temps « normal » pour ne pas avoir d’impact sur la survie des patients.

Ces délais attendus, relativement longs au Québec si on se réfère à la littérature scientifique, étaient déjà fort contestables et difficilement respectés par les établissements de soins aux cancéreux, faute de ressources. Il va sans dire que depuis la pandémie, ces délais ont explosé.

Ainsi, toute affirmation, probablement dans un but de rassurer, indiquant que les soins sont priorisés selon de nouvelles normes pour éviter tout impact, est une sous-estimation majeure du problème qui s’accentue en oncologie. Et, pire encore, étant donné la paucité de données valables au Québec, on pourra difficilement mesurer l’impact réel de la réduction des soins que nous vivons en ce moment. C’est un constat désolant que de ne pas pouvoir mesurer l’effet des décisions, peu importe leur niveau d’urgence.

Le scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, écrivait dans La Presse que « les solutions à la pandémie de COVID-19 et autres menaces du genre passent beaucoup par la science ». J’ai maintes fois soutenu la prépondérance de la méthode scientifique pour permettre des avancées sociales. La situation actuelle de crise nous oblige à exiger d’inclure les visions scientifiques dans toute décision, et pas seulement l’optique politique.

En oncologie, il faut une direction indépendante de toute ingérence politique en mesure de porter des constats et de faire des suggestions crédibles sur l’organisation des soins et sur les ressources nécessaires. C’est une demande répétée depuis plus de 20 ans. Des statistiques dévoilées en dehors de toute influence politique peuvent intéresser et devraient intéresser la société civile.

La science devant la politique

Sans rien enlever à M. Legault, il est un peu désolant de voir que l’éducation populaire en matière de santé publique et d’immunisation collective passe par ses lèvres. N’a-t-on pas assez de scientifiques qualifiés, éloquents et vulgarisateurs ? Et je ne pense pas pour autant que la ministre de la Santé soit plus apte.

La qualité politique d’un élu devenu ministre peut le qualifier pour être un gestionnaire ou un leader, mais pas d’interpréter et d’adapter la science au gré de décisions qui peuvent avoir un impact sur la qualité de vie de la population.

Laissons les statistiques et leur interprétation parler sans le filtre du politique.

Au Québec, en oncologie, il faut nommer les problèmes qui ne font que ressurgir avec la pandémie, et en premier lieu le manque de données fiables pour adéquatement gérer nos ressources, pour identifier les zones de fragilité, et pour permettre de rebondir quand des crises viennent tout remettre en question. Et il faut un plan d’action massif pour rattraper tout le retard des dernières semaines en prenant soin de protéger ces patients d’une infection par le SARS-CoV-2 qui a, chez les cancéreux, un impact de mortalité impitoyable.

Il faut aussi probablement repenser les lieux de soins, la constitution des équipes traitantes afin d’attribuer les patients avec diverses pathologies aux bons soignants. La télémédecine qui émerge tout à coup devrait nous permettre cela en partie. Il y a tant à faire pour reprendre les déficits de données et d’organisation des ressources depuis plus de 20 ans…

M. Legault mentionne quotidiennement avec raison que derrière les chiffres qu’il déclame, il y a des gens et des drames humains. Les statistiques ont des noms, des histoires. En oncologie, l’absence de statistiques fiables ne vient pas sans drames humains. Mais les raisons de ces drames sont difficiles à cerner et à régler si on ne peut adéquatement les dénombrer, les cibler, et collectivement les prendre en main.

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