Cette lettre s’adresse au premier ministre François Legault et à la ministre de la Santé, Danielle McCann

Comme infirmières et infirmiers, nous réfléchissons quotidiennement à notre pratique pour offrir les meilleurs soins possibles aux patients.

Nous avons choisi d’exercer cette profession non pas par vocation, mais parce qu’elle nous permet de prodiguer des soins spécialisés auprès de personnes ayant des problématiques de santé complexes. Nous ne sommes pas des anges gardiens, mais bien des professionnels de santé à part entière.

S’il y a une chose que nous réalisons avec brio, c’est l’effort collectif.

Depuis le 22 avril dernier, l’arrêté ministériel est en vigueur pour tous. Nos horaires ont alors été modifiés sans notre consentement et nous sommes maintenant tous employés à temps complet. Bien que ce temps complet soit justifié en contexte de pandémie, je ne vous apprendrai rien en vous annonçant comment cette décision a été appliquée dans les différents milieux de soins. Je vous invite à consulter la page Facebook « Infirmières en mouvement » pour avoir un bref aperçu des dégâts que cet arrêté ministériel provoque dans le réseau, déjà tant fragilisé.

Ceci se fait malheureusement au détriment de la qualité des soins. À titre d’exemple, au CISSS de Laval, les infirmières et les préposées aux bénéficiaires sont tenues de travailler trois week-ends sur quatre ! Imaginez les conséquences sur la vie personnelle et familiale ; pensez au stress lié à la gestion des horaires familiaux pour permettre aux deux conjoints de pouvoir travailler.

Ailleurs dans le réseau, les temps complets ne sont même pas de « vrais » temps complet puisque nous ne pouvons bénéficier des avantages de ces derniers. Il nous est refusé de profiter de six jours travaillés par quinzaine à raison de 12 heures par jour, réservés à ceux qui ont des postes officiels à temps complet. Ceci nous permettrait pourtant de respecter la directive ministérielle tout en favorisant la conciliation travail-vie personnelle. Sans compter les primes COVID dérisoires (entre 30 $ et 50 $ sur deux semaines).

Ce manque de flexibilité et cette absence de reconnaissance vont sans aucun doute entraîner une perte de ressources, d’autant plus indispensables en cette période de crise sanitaire.

J’aimerais vous faire part également de la situation des candidats à l’exercice de la profession infirmière, autrement appelés CEPI. Une CEPI est une diplômée en sciences infirmières qui peut effectuer plusieurs activités professionnelles réservées aux infirmières jusqu’à l’obtention de l’examen professionnel. Nous sommes près de 1200 à avoir terminé nos études en décembre dernier. Nous aurions dû passer notre examen de l’Ordre en mars. Il a été reporté une première fois en avril, puis en septembre 2020.

À situation exceptionnelle, réponse exceptionnelle, bien qu’il soit contestable qu’en 2020, il soit impossible de trouver une situation alternative, comme un examen en ligne. L’école du Barreau de Québec n’a-t-elle pas prévu une évaluation finale en ligne ? Le Collège des médecins n’a-t-il pas octroyé un permis temporaire à ses résidents en médecine jusqu’à la tenue de leur examen ? 

Une CEPI est autorisée à travailler dans un établissement de santé, avec certaines restrictions. Une CEPI ne peut initier d’ordonnances collectives, ne peut décider d’un plan de traitement de plaie et, dans plusieurs milieux, n’est pas autorisée à relever une ordonnance téléphonique ni une ordonnance verbale. Une CEPI, qui est en consolidation des acquis, doit donc fréquemment solliciter ses collègues qui sont déjà souvent débordées.

Dans le contexte actuel de manque criant de personnel dans l’ensemble des milieux, pensez-vous qu’il soit raisonnable de nous priver d’exercer pleinement notre rôle infirmier ? Une CEPI, c’est aussi une « infirmière » qui gagne environ 10 $/heure de moins qu’une infirmière clinicienne. Je vous rappelle qu’à l’heure où je vous écris, ces CEPI devraient déjà être infirmières ou infirmières cliniciennes.

Alors, quand je vous entends dire que les 5000 employés absents depuis le 22 avril (correspondant à l’annonce du temps complet) craignent sans doute d’être contaminés, je m’interroge. 

Ne pensez-vous pas plutôt que ces absences pourraient être la conséquence des mesures austères, draconiennes et impersonnelles mises en place pour gérer cette crise depuis les dernières semaines ?

Loin de moi l’idée de vous attribuer tout le blâme de la pénurie de main-d’œuvre dans le milieu de la santé. Je reste convaincue qu’il s’agit d’une responsabilité partagée avec les précédents gouvernements. Cependant, il me semble que l’effort collectif doit être partagé. Pour que nous restions motivées, que nous puissions offrir des soins de qualité, nous avons besoin de votre soutien. Les mercis ne suffisent plus. Il nous faut une meilleure reconnaissance professionnelle, qui passe évidemment par une reconnaissance salariale et de meilleures conditions de travail.

Réfléchissez-y, car ce ne sont pas 5000 personnes qui manqueront à l’appel, mais 10 000. Et je vous assure que ce ne sera pas par crainte d’être contaminées !

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