Des chercheurs de différents horizons des sciences sociales et humaines nous donnent la mesure dans les prochains jours des défis qui attendent le Québec dans un avenir rapproché. Aujourd’hui, Luc Godbout aborde la question des finances publiques. Un dossier spécial coordonné par Guy Laforest (ENAP) et Jean-Philippe Warren (Université Concordia), en collaboration avec La Presse+.

Nos gouvernements ne sont pas restés les bras croisés devant la crise de la COVID-19 qui les a forcés à mettre l’économie « sur pause ». Presque tous les jours, ils ont annoncé des mesures de soutien ayant des impacts économiques importants. Les chiffres sont vertigineux.

Du côté d’Ottawa, le plus important programme est la Subvention salariale d’urgence, estimée à 73 milliards de dollars pour trois mois. Du côté du Québec, les montants semblent plus « modestes ». Les annonces totalisent « seulement » 20 milliards, dont une large part constitue de simples assouplissements aux paiements des impôts et taxes.

Sous l’angle des aides économiques, le fédéral est plus visible que le gouvernement québécois. Mais gardons en tête le partage des compétences constitutionnelles. L’assurance contre le chômage relève du fédéral, justifiant ainsi son intervention en prestations et subventions d’urgence. La responsabilité de la santé, également sous pression avec la crise, relève quant à elle du gouvernement du Québec.

Gérer les finances publiques de l’après-COVID sera un défi. En dépit du soutien massif de l’État pour les individus et les entreprises pendant la crise, le Québec devra affronter une importante récession.

Or, une économie au ralenti entraine des revenus de l’État en baisse et des interventions gouvernementales accrues. Des déficits records apparaissent inévitables. Si le directeur parlementaire du budget estime le déficit fédéral à 184,2 milliards de dollars pour l’année budgétaire en cours, il devrait s’établir au Québec, selon le ministre des Finances, entre 12 et 15 milliards.

Deux outils

Au fil des années, le gouvernement du Québec s’est doté de deux importants outils pour assainir ses finances publiques : la Loi sur l’équilibre budgétaire (loi-ÉB) et, d’autre part, la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations (loi-FDG). Grâce à ces outils, les finances publiques du Québec d’avant la crise n’étaient jamais apparues aussi saines. Les efforts réalisés ces dernières années pour diminuer l’endettement se révèlent aujourd’hui salutaires.

Malgré les bienfaits manifestes de la loi-ÉB, les déficits anticipés pour les prochaines années, à cause de la crise de la COVID-19, ne feront pas bon ménage avec l’application de cette loi qui apporte une difficile obligation d’équilibrer le budget. En ce qui concerne la loi-FDG, les cibles d’endettement seront possiblement hors de portée.

Sans trop s’avancer sur la nature de la reprise économique, le gouvernement voudra à juste titre soutenir l’économie de diverses manières, comme par des incitatifs fiscaux à l’investissement des entreprises ou par une accélération de ses dépenses ou des travaux d’infrastructure. Mais comment y arriver, si la loi-ÉB l’oblige à équilibrer son budget ?

Avant la crise de la COVID-19, la Chaire en fiscalité et en finances publiques planifiait une journée de réflexion où la trame de fond était « c’est lorsque tout va bien qu’il faut apporter des ajustements aux lois qui favorisent la transparence des finances publiques ». Cette discussion n’aura manifestement pas lieu en période où « tout va bien », mais elle devra néanmoins se faire.

Les lois ÉB et FDG, si utiles soient-elles pour discipliner le gouvernement, ne doivent pas devenir un carcan trop contraignant pour les prochaines années.

Que faire alors ?

Pour la loi-FDG, le plus simple consiste à revoir les cibles de dette, tout en laissant le versement des sommes dédiées se poursuivre.

Pour la loi-ÉB, vaut-il mieux suspendre son application comme le gouvernement l’a fait après la récession de 2008 ou la revisiter pour assouplir son application en période de récession ? Mieux vaut permettre une résorption des déficits plus souple lorsque le PIB réel diminue sur une base annuelle, un critère se justifiant par sa rareté. Adapter la loi laisserait en conséquence au ministre des Finances la capacité d’agir pour relever l’économie du Québec.

Cependant, si l’équilibre budgétaire a ses vertus, il ne doit pas être un dogme.

Pour l’heure, évitons l’austérité budgétaire et assurons un financement stable des principales missions de l’État.

Un empressement à rééquilibrer trop rapidement le budget irait à l’encontre d’une relance adéquate de l’économie, ayant pour conséquence de nous éloigner plus longtemps de notre plein potentiel économique. Les coûts humains, sociaux et financiers d’une telle approche sont trop élevés.

Bien sûr, le Québec devra tenir le solde budgétaire à l’œil pour éviter que le tout culmine en une crise des finances publiques.

En plus des nouveaux défis découlant de la crise de la COVID, deux principaux enjeux du Québec existant avant la crise, à savoir la soutenabilité budgétaire de long terme pour faire face au vieillissement de la population ainsi que le financement de la nécessaire lutte contre les changements climatiques, demeurent également bien présents.

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