Le gouvernement du Canada a annoncé dans ses prévisions le 9 avril que nous en serons à 1000 morts cumulatifs ou plus au pays vers le 16 avril. Cette date semble plausible comme prévision du sommet pour la première vague de la pandémie au pays.

Selon l’hypothèse que la progression de celle-ci suit une courbe normale, cela signifierait que l’ensemble de la première vague se soldera par environ 2000 morts au pays quelque part en mai. On pourrait même être un peu plus optimistes si la deuxième moitié de la courbe se révélait moins coûteuse que la première avec une chute des cas passé le sommet plus rapide que la montée grâce à l’impact toujours grandissant d’un confinement de plus en plus serré dans les dernières semaines.

Alors qu’on commence à considérer la « réouverture » de la société et de l’économie, il est pertinent de s’intéresser à ce que cette première phase nous a appris.

Selon les projections dévoilées le 9 avril, on estime que pour chaque 1000 personnes dont le test est positif, 80 devront être hospitalisées, 25 iront aux soins intensifs et 12 décéderont. Or, si on fait la rétro-ingénierie du nombre de 2000 morts estimées ci-dessus pour la première phase en utilisant ces mêmes facteurs, on en viendrait à conclure que 167 000 Canadiens auraient été démontrés contaminés dans cette première phase, soit un peu moins de ½ de 1 % de la population seulement. Bonne nouvelle, ce premier épisode n’aurait nécessité que 4000 hospitalisations aux soins intensifs durant toute la période au pays.

Or, sur la base des 475 décès rapportés au 9 avril, le même exercice de rétro-ingénierie nous donnerait une estimation de 39 000 personnes démontrées infectées, alors que la moitié, soit seulement 19 500 cas, sont rapportés à ce moment. Il y a plusieurs raisons pour cet écart, dont le fait que toutes les personnes infectées à ce jour ne se sont pas encore manifestées à cause du délai entre l’incubation et la guérison ou le décès, selon le cas, et une forte présomption que le nombre de personnes infectées est sous-estimé à cause du nombre limité de tests effectués jusqu’à maintenant.

Même avec une hypothèse beaucoup plus optimiste que celle supportée par les chiffres actuels, et inférieure de 50 % à l’expérience des meilleurs pays d’Europe, à savoir seulement 15 hospitalisations aux soins intensifs par 1000 cas démontrés infectés, et 7 décès, on obtient des prévisions optimistes d’environ 6000 cas aux soins intensifs et 3000 morts de plus pour chaque vague de 1 % additionnelle de la population infectée (380 000 cas). Ces résultats sont de 50 % supérieurs à ce qu’on aura eu à subir du début jusqu’en mai. Ce scénario est loin d’être alarmiste.

Le dilemme des autorités

On peut transposer ces chiffres en termes de dilemme pour les autorités de façon visuelle. Combien de citoyens additionnels pourraient être contaminés à la suite d’une réouverture des activités, même avec des mesures de prévention. Un, deux, trois par cent, ce n’est pas beaucoup alors que les impacts de morbidité et de mortalité, eux, sont exponentiels. On a vu plus haut qu’on a atteint ½ de 1 % de contamination à partir de zéro en quelque huit semaines jusqu’à ce qu’on applique les freins à 100 %. On ne partira pas non plus de zéro contaminé en mai. Enfin, il y aura un élément de fatigue dans la discipline de la population.

En attendant la venue de tests simples et de solutions thérapeutiques « de masse » efficaces, ou mieux de vaccins, on se doit d’être réalistes tant à l’égard de ce risque que de l’impact sur le fonctionnement de la société dans cette nouvelle réalité.

En effet, les procédures nécessaires de prévention qui vont accompagner ce délestage – tests, masques, distanciation, horaires de travail atypiques, absences maladie ou d’aidant, enquêtes épidémiologiques et autres – feront que les ressources ne pourront pas être aussi effectives qu’avant la crise, même si elles sont libérées, avec une conséquence directe sur la productivité des entreprises. À cela, il faudra ajouter les coûts et les impacts de la gouvernance et de la surveillance requise des bonnes pratiques sur cette même productivité. De grands pans de l’économie ne pourront même pas trouver à court terme de façon viable d’opérer à l’intérieur de ce régime de précautions prescrit.

Les risques et les alternatives sont tels qu’on ne peut prétendre à un retour de l’économie au rythme antérieur dans l’état des connaissances actuelles. Entre autres, on ne considère même pas encore le temps qu’il sera nécessaire à celle-ci pour se réajuster aux changements de comportements encore plus permanents des consommateurs, des gouvernements et des entreprises qui se feront sentir surtout si la pandémie perdure plus de six à douze mois. Les gouvernements doivent être clairs et transparents envers la population.

Les chiffres ont parlé, le réalisme commence maintenant.

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