Grand-Pa est décédé il y a un peu plus d’un an. Le jour de Noël. Nous étions tous là, une main posée sur lui jusqu’à son dernier souffle devant la vie et ses dernières angoisses devant la mort.

« Ça va bien aller, Grand-Pa. » S’il était encore là, je l’appellerais. Il me répondrait. Depuis des années, il payait une boîte vocale qui n’a jamais servi. Un répondeur sur lequel je ne suis jamais tombée. Fidèle au poste. Aujourd’hui, j’aurais aimé ça qu’il me rassure, qu’il me dise : « ça va bien aller, Fille ». Venant de lui, me semble que j’y croirais encore plus.

Grand-Pa a cessé de répondre à nos appels au lendemain de l’AVC qui l’a laissé aphasique et paralysé. Trois ans avant sa mort. Il voulait une hanche neuve. En stainless. Il espérait qu’elle lui redresse le corps et lui redonne un peu de vitesse. Pour lui allonger la vie par en avant. Pour vivre jusqu’à 125 ans. Parce que Grand-Pa, il aimait ça vivre. Peu importe les embûches. On avait estimé, lui et moi, que s’il atteignait cet âge, j’aurais 79 ans et qu’il serait donc possible qu’on se retrouve au CHSLD en même temps. Ça l’amusait autant que moi d’y croire. On s’inventait déjà des soirées de bonne bouffe et de bières légères dans un lieu accueillant et sécuritaire. Comme si les centres de soins de longue durée s’étaient métamorphosés en espaces rassembleurs et festifs où les histoires finissent toujours bien. Mais son opération de la hanche a mal viré. Y’a un quelque chose qui ne devait pas s’y rendre qui est allé se loger dans son cerveau, dans le filage de la parole et le panneau de contrôle de son côté droit. Dès lors, il n’a plus répondu à nos appels, sa boîte vocale n’a cessé de se remplir et son entrée au CHSLD s’est précipitée.

Grand-Pa, si tu étais encore là, je ne suis pas certaine que tu comprendrais ce qui se passe. On a de la misère à le comprendre nous-mêmes.

Pas sûre qu’à travers les engrenages écorchés de ton cerveau, tu comprendrais pourquoi un ennemi invisible nous bloque les portes de ton centre. Pourquoi, du jour au lendemain, on a cessé nos visites pour s’assurer que tout se passe bien pour toi, qu’on a arrêté d’un coup sec de t’apporter secrètement le sac de chips et la petite Coors Light qui faisaient ta journée, qu’on a cessé de te chuchoter à l’oreille qu’on t’aime et qu’on est heureux que tu sois encore là. On aurait eu envie de t’appeler ou de te Facetimer pour te rassurer, pour te dire qu’on est encore là, mais depuis ton AVC tu n’as plus la dextérité ni la logique requise pour utiliser un téléphone ou une tablette. On aurait harcelé les infirmières pour qu’elles te tendent le téléphone, mais on aurait vite compris qu’entre leurs doigts bien désinfectés, le temps fuit et finit vite par leur manquer.

Grand-Pa, tu nous manques et on t’aurait gardé plus longtemps, mais peut-être pas jusqu’au temps de la COVID-19. Repose en paix.

À toutes les grands-mamans et tous les grands-papas confinés, sachez que vous n’êtes pas seuls. Il y a tout le Québec qui pense à vous. Si vous deviez nous quitter, sachez que c’est tout le Québec qui vous tiendra la main, jusqu’à la fin.

À leurs proches, que chaque grain de sable qui s’immiscerait dans les rouages de vos deuils peut faire naître des perles d’idées pour améliorer les conditions de vie et la fin de vie de celles et ceux qui ont contribué à faire de nous ce que nous sommes.

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