J’écris cette lettre ouverte en tant que citoyen d’abord, en tant que patient psychiatrique ensuite, en tant que médecin en dernier – dans l’ordre selon lequel je considère que mes arguments devraient peser.

Le lecteur l’aura peut-être déjà deviné : je veux prendre position dans le dossier de l’application des nouvelles règles de l’aide médicale à mourir (AMM) aux patients psychiatriques. Mais pour bien répondre à cette question politique, je crois qu’il faut commencer par s’en poser une autre, plus fondamentale.

Qu’est-ce que la souffrance ?

Elle doit être quelque chose de différent de la douleur, autrement la duplication des termes serait une erreur de langage. On reconnaît souvent une nuance sans pouvoir la définir clairement. Pour certains, le seul critère différentiel en est un de durée : la douleur devient souffrance lorsqu’elle se prolonge. Cela dit, avec une différence de degré, mais non de nature, et sans seuil temporel clair, la distinction n’apporte rien au débat.

On peut cependant, du critère de durée, tirer un critère d’essence – plus discriminant, donc utile. Une journée de travail qui s’étire reste une journée de travail ; mais il y a un point au-delà duquel, de plaisir qu’elle peut être, elle devient un labeur, puis un danger.

De même la douleur, qui est un phénomène neurologique, peut se doubler d’une interprétation psychologique. Je propose la définition suivante : la souffrance est une douleur dont on ne sait pas quand elle se terminera. Cette définition rejoint aussi l’expression « en souffrance », qui se dit d’une affaire suspendue et attendant d’être réglée.

Ce pourquoi la douleur – comme tous les signes et symptômes, au fond – mérite qu’on la traite, c’est que, pendant qu’elle est là, elle empêche de se concentrer sur autre chose qu’elle.

Le caractère spécifique de la souffrance, dans cette lignée, est qu’elle empêche d’envisager le futur avec optimisme. En un mot, elle rend impossible l’autonomisation (le français d’empowerment) de celui qui la ressent, parce qu’elle ne lui permet jamais de se trouver à ce point zéro où il regarde sa vie et se demande sereinement comment il pourrait en maximiser la valeur. Elle le dépossède de sa propre pensée.

Incurabilité actuelle

Les opposants de l’AMM pour les patients psychiatriques arguent qu’on ne peut jamais avoir l’assurance qu’une maladie mentale ne deviendra pas traitable dans la suite des choses – et donc qu’une solution définitive ne peut s’appliquer. Cette assurance est impossible à obtenir autant pour les maladies physiques que psychiques, la recherche rendant possible la découverte éventuelle de n’importe quel traitement. Le critère doit rester l’incurabilité actuelle de la maladie ; autrement, toute AMM serait injustifiée.

Ils plaident aussi que ce serait pousser à demander la mort des patients qui ont surtout besoin de se faire rappeler qu’ils sont essentiels. Non. Les patients psychiatriques en ont besoin plus encore que les autres, d’accord ; il ne faut pas que le financement de l’AMM soit détourné du traitement, de la recherche et de la prévention – de la même manière que pour les maladies physiques ici aussi –, d’accord ; mais l’AMM doit leur être offerte.

Pourquoi ? Parce que la douleur, qu’elle vienne d’une maladie physique ou psychique, cause de la souffrance lorsqu’elle s’étire ; parce que la souffrance empêche de vivre avec autonomie, c’est-à-dire dignement, c’est-à-dire en ayant la possibilité de prendre des décisions pour soi-même en fonction de sa valorisation ; parce que, dans ce contexte, la mort doit rester une option, une ultime réappropriation de sa vie en la terminant.

En tant que patient psychiatrique, lors de mes crises suicidaires, il me restait juste assez de force pour me hérisser de la phrase : « Le suicide n’est pas une option. » 

Une autre phrase, plus autonomisante, pourrait entamer le processus de réflexion sur l’AMM en cas de maladie mentale : « Le suicide doit être une option, mais avant de s’y rendre, il faut avoir essayé d’être heureux de toutes les manières dont on peut en restant en vie. »

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