Dans ce recueil, le recteur de l’Université de Montréal Guy Breton livre ses réflexions sur la réalité universitaire au Québec comme ailleurs et lance un appel à mieux soutenir l’enseignement supérieur. 


Au lendemain des événements qu’on a appelés le « printemps érable », le gouvernement de Pauline Marois a organisé un Sommet sur l’enseignement supérieur du Québec, afin de traiter d’enjeux importants comme l’accessibilité aux études universitaires et le financement des universités.

En marge de ce sommet, j’ai remarqué une tentative, chez certains participants, de cadrer le débat selon un affrontement entre deux conceptions de l’université : l’une utilitaire, et l’autre communautaire. D’un côté, il y aurait l’université entrepreneuriale, qui ne cherche qu’à former les futurs travailleurs. De l’autre, il y aurait l’université désintéressée, libre, qui forme des citoyens éclairés et place la recherche du bien commun au centre de son idéal. Bien entendu, ceux qui campent les positions en ces termes caricaturaux en profitent pour coller une étiquette négative à la conception utilitaire en l’associant à cet épouvantail qu’est la « marchandisation du savoir ».

Or cette analyse ne s’inscrit pas dans la réalité, que l’on se place du point de vue de l’université ou de l’étudiant. Primo, nos universités préparent leurs étudiants à devenir des travailleurs qualifiés et des citoyens éclairés.

Dans toutes les disciplines, on demande aux étudiants de remettre en question le savoir établi : c’est le prélude à la recherche et le germe de l’esprit critique si nécessaire à une vie intellectuelle et collective de qualité.

Secundo, les étudiants en général ne voient pas d’opposition entre les conceptions utilitaire et communautaire de l’université. En s’investissant dans la formation de leur choix, ils espèrent un jour travailler dans leur domaine de prédilection et contribuer, à leur façon, à la société. D’ailleurs, l’Université de Montréal a demandé à ses diplômés de baccalauréat de 2009-2010 de s’exprimer sur leur expérience du marché du travail. Savez-vous quelles habiletés acquises à l’université ces jeunes diplômés estiment utiliser le plus souvent, maintenant qu’ils travaillent ? « Exercer un jugement critique » et « manifester un comportement éthique ». Ce sont des compétences que l’on acquiert dans tous nos programmes d’études, en se pliant aux rigueurs du travail intellectuel.

Nombreux sont ceux qui s’inquiètent aussi de la « commercialisation » de la recherche, l’autre mission fondamentale de l’université. C’est faire fi de la place plutôt congrue qu’occupe la recherche financée par l’industrie dans les universités. Vrai, la proportion des activités scientifiques réalisées avec l’aide des entreprises a augmenté depuis vingt ans. Mais que ce soit aux États-Unis ou au Canada, cette proportion n’excède guère 10 % du total des activités de recherche des universités. La grande majorité de la recherche universitaire est financée par l’État, selon un processus d’évaluation des projets par les pairs qui demeure, même à l’heure de l’université « détourdivoirisée », le meilleur gage de la qualité des projets et de l’indépendance des chercheurs.

Marie Curie elle-même, deux fois Prix Nobel, maintenait des liens serrés avec l’industrie de l’uranium. Sans cette relation particulière, elle n’aurait pu se procurer le précieux métal pour ses expériences et elle n’aurait pu découvrir le radium qui allait révolutionner la science médicale. A-t-elle pour autant vendu son âme ?

Billet n° 18 : Femmes en tête

La tendance se poursuit. Messieurs les étudiants, votre position minoritaire est de nouveau confirmée. Le dépouillement des dernières données établit que les femmes constituent 60 % de la population étudiante de l’Université de Montréal et de ses écoles affiliées, HEC Montréal et l’École Polytechnique.

Les femmes sont maintenant majoritaires dans presque tous les domaines d’études. En médecine vétérinaire, elles forment même 78 % de la population étudiante ! Au troisième cycle, toutefois, la prédominance des femmes n’est pas encore indiscutable. Elles sont plus nombreuses que les hommes sur la ligne de départ, mais il y a encore davantage d’hommes qui obtiennent un doctorat.

Dans l’enseignement universitaire, la même tendance se dessine. En près de vingt ans, la proportion de femmes chez nos professeurs réguliers est passée de 28 % à 39 %. Notre établissement remet de plus en plus de doctorats honorifiques à des femmes inspirantes, comme la médaillée paralympique Chantal Petitclerc, l’anthropologue et militante autochtone Nicole O’Bomsawin et la militante et politicienne Françoise David. Que dire de nos équipes féminines de hockey, de volleyball et de soccer, qui pourraient toutes donner des leçons sur le désir de vaincre aux Canadiens de Montréal ?

Nous devons nous réjouir de cette avancée des femmes à l’université. Parce qu’elle annonce ce qui s’en vient : une meilleure égalité des sexes au sein de nombreux domaines d’emploi et une société plus équitable. Chaque fois qu’un ou qu’une des nôtres va au bout de ses rêves, c’est la collectivité qui s’enrichit.

Mais reconnaissons qu’il reste encore du pain sur la planche. Regardons d’abord dans notre propre cour.

Si les femmes sont plus nombreuses que les hommes à entrer au troisième cycle et moins nombreuses à obtenir un doctorat, n’est-ce pas, en partie du moins, à cause de la difficile conciliation études-famille ?

Puis, dans l’ensemble de la société, malgré les progrès accomplis, les femmes demeurent sous-représentées aux postes de haute direction de nos entreprises et au sein de nos parlements, tandis qu’elles sont surreprésentées parmi les citoyens à faible revenu.

Il nous faut aussi, comme société, barrer la voie à des phénomènes qui vont à l’encontre de notre conception de la vie, comme l’affaire Shafia, qui nous a révélé l’existence du crime d’honneur ici même au Canada.

Il est du devoir d’une grande université comme la nôtre de militer pour la liberté, l’égalité et la justice pour tous. Ce ne sont pas des valeurs occidentales. Refusons ce raccourci qui ouvre la porte au relativisme culturel : ce sont des valeurs universelles. Il ne naît pas un enfant, indépendamment du pays ou du dieu de ses parents, qui ne soit épris de liberté et de justice. La discrimination n’appartient pas au domaine de l’inné, elle relève de l’acquis. Elle s’apprend. Malheureusement.

La situation de la femme figure parmi les critères incontournables qui permettent de situer les pays et les sociétés sur l’échelle du progrès. L’histoire du monde ne ment pas : il y a une corrélation directe entre la situation des femmes et le niveau de vie des populations. Cette évidence triomphera-t-elle dans ces pays du monde où l’histoire se réécrit ?

PHOTO FOURNIE PAR LES PRESSES DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Les carnets du recteur, Guy Breton, Les Presses de l'Université de Montréal, novembre 2019, 168 pages.

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