Il n’y a pas de doute que nous vivons maintenant à l’ère du Big Data, de la collection et de l’analyse massive de données de toutes sortes. Ces données, colligées surtout par les géants de l’internet, tels Facebook, Google et Amazon, souvent sans le consentement des utilisateurs, sont utilisées à toutes sortes de fins. Le public est de plus en plus sensibilisé à cet enjeu, et le gouvernement Legault a annoncé un nouveau projet de loi pour protéger les données personnelles des Québécois.

Si cette explosion de données représente un enjeu social et économique important, ce ne sont pas tous les secteurs de notre société qui sont touchés. Le système de santé québécois, lui, existe dans un univers parallèle où c’est plutôt le manque de données qui est un problème majeur.

Effectivement, malgré les développements technologiques extraordinaires nous permettant de créer d’énormes bases de données en temps réel, le gouvernement du Québec ne met pas la majorité des données sur la santé des Québécois à la disposition des chercheurs qui veulent les étudier.

Pourquoi s’attarder sur cette question ? Il ne s’agit pas tout simplement d’entraves à des études universitaires, sans doute intéressantes, mais néanmoins marginales.

L’accès aux données est crucial à l’analyse, à l’évaluation et à l’optimisation de notre système de santé.

Cet enjeu, méconnu non seulement du public, mais aussi des professionnels de la santé, est une problématique significative pour la santé des Québécois. De ce fait, résoudre ce problème représente un potentiel énorme pour améliorer le savoir de nos chercheurs et la performance de notre système.

Remparts bureaucratiques

Pour savoir comment mieux faire, il faut déjà comprendre ce qu’on fait. Or, toute analyse de l’état des soins au Québec est soit impossible, soit extraordinairement longue et complexe à entreprendre. La RAMQ possède une grande quantité de données, mais celles-ci sont protégées derrière des remparts bureaucratiques quasi infranchissables, par l’entremise de la Commission d’accès à l’information du Québec. Une collègue souhaitant étudier l’asthme pédiatrique au Québec attend toujours des données qu’elle a demandées à la RAMQ… en 2018.

Ceux qui se disent que les problèmes du Québec sont peut-être représentatifs des autres systèmes de santé au Canada seront déçus.

En Ontario, un organisme indépendant affilié à plusieurs universités de la province gère et organise une énorme base de données de santé provinciale et y donne accès.

Il existe aussi un institut national qui collige et distribue les données de santé. Impossible d’évaluer l’impact du Québec sur ces données, par contre, puisque la RAMQ ne participe pas à cette initiative. Plusieurs pays, dont la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni et l’Australie, rendent leurs données de santé nationales disponibles aux chercheurs et même au public, tout en protégeant l’anonymat des patients.

Mauvaises données

Sans bonnes données, il nous reste… des mauvaises données, et c’est pas mal tout. Prenons comme exemple une statistique qui nous obsède au Québec : le temps d’attente aux urgences. Ce chiffre semble en dire long sur notre système, mais c’est une illusion. Le temps d’attente nous dit combien de temps les patients passent à l’urgence avant de rentrer chez eux ou d’être hospitalisés. Mais le temps d’attente ne nous dit rien sur le temps qu’il faut pour voir un médecin, ni sur la qualité des soins prodigués, l’expérience du patient lors de sa visite aux urgences, les retours aux urgences dans les jours qui suivent, et plus encore. Un temps d’attente qui diminue semblerait être un « bon » chiffre, mais peut-on toujours l’interpréter ainsi ? Le temps d’attente peut diminuer, car les urgences sont plus efficaces, ou bien parce que les temps d’attente découragent les patients, qui vont consulter ailleurs.

Mettre l’accent sur une seule statistique a aussi des effets pervers. Les centres les plus novateurs du Québec, tel l’Hôpital général juif, qui entreprend un travail constant d’amélioration des processus pour diminuer le temps d’attente, se font effectivement « punir » pour leur succès : les patients voient que le temps d’attente est plus court et débarquent dans ces urgences, sans que le budget des hôpitaux phares soit bonifié. Le temps d’attente augmente aussitôt.

Nous sommes plus de huit millions de personnes au Québec, et nous utilisons presque tous les services assurés par la RAMQ. La richesse et le potentiel de nos données de santé sont donc inestimables.

En mettant à la disposition des chercheurs et du public le plus d’information possible, nous pouvons comprendre l’état de notre système et générer des hypothèses pour l’améliorer.

Ce n’est pas exagéré de dire que les données sauvent des vies : parmi les études les plus importantes de la médecine moderne (sur les maladies cardiaques, la santé des femmes, les déterminants sociaux de la santé), plusieurs sont tirées de données à l’échelle d’une population comme celles que le Québec pourrait produire. On peut rêver d’un avenir dans lequel une première grande étude sur un enjeu de santé du moment, comme les effets de la légalisation du cannabis, serait tirée de données québécoises.

C’est aussi par l’analyse de nos données que nous pouvons évaluer nos gouvernements, et comprendre si leurs politiques ont un impact positif sur nos vies. La publication des données de santé est donc bien plus qu’un enjeu académique, c’est aussi un enjeu de démocratie. Après tout, ces données nous appartiennent, non seulement car elles portent sur notre santé, mais parce que le système de santé nous appartient lui aussi.

Pourquoi n’avons-nous pas accès à ce qui nous appartient déjà ?

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