« Je veux que ça bouge ! », a lancé le 30 janvier dernier Isabelle Charest, ministre responsable de la Condition féminine en commentant la vague de féminicides qui secoue le Québec*. En effet, dans quel genre de société vit-on quand tant de femmes meurent aux mains d’hommes violents ? Sans parler de toutes celles qui ne meurent pas, et qui sont agressées. Or en amont, que fait-on pour prévenir cette violence ?

Investir dans l’humain

En plus d’agir pour protéger les femmes, il faut continuer à se préoccuper de ce qui pousse les hommes à frapper. L’animateur de radio Jonathan Trudeau a suggéré le 31 janvier, dans un quotidien montréalais, la création d’un ministère de la Condition masculine, une idée qui revient cycliquement, afin de concerter les ressources auprès des hommes pour endiguer la violence.

Or si je dis qu’il faut faire quelque chose, cela ne passe pas par un ministère de la Condition masculine, mais par la concertation des ministères de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation, de la Famille, de la Justice, tous concernés par la prévention. Un nouveau ministère ne rattrapera pas le retard accumulé à la suite de l’affaiblissement des services publics au cours des 20 dernières années. Nous payons aujourd’hui pour ne pas avoir investi dans l’humain, et des femmes y laissent leur peau.

Se remettre en question

Mais il n’y a pas que les services publics à mobiliser, les individus aussi doivent se responsabiliser. Soulignons que nous subissons toujours l’onde de choc du mouvement #moiaussi et que le thème des violences sexuelles est plus que jamais à l’ordre du jour.

C’est ce qui ouvre la voie à une réflexion en profondeur sur la construction des masculinités.

Essais savants ou grand public, balados et documentaires (dont le récent Qui sont les joueurs de jeu vidéo ? du youtubeur Thomas Versaveau sur la masculinité geek) se penchent sur le sujet, encourageant les hommes à comprendre ce qui leur arrive « en tant que groupe ». Cette réflexion plus globale est indispensable.

Socialisation inégalitaire

PHOTO YAN DOUBLET, LE SOLEIL

Recueillement à Québec après le meurtre de Marylène Levesque, en janvier dernier

Car dans le cas des féminicides en milieu d’intimité, les problèmes auront commencé bien avant que les coups soient portés, que la colère explose. Ils auront pris racine dans la socialisation des hommes, et des femmes. Les uns parce qu’on leur enseigne une virilité impossible à incarner, faite de toute-puissance, de comportements dominants, de prise de risque ; les femmes parce qu’elles ont appris à prendre soin des autres, et à tolérer beaucoup trop de choses, et que dans les situations de pauvreté ou de dépendance, elles voient leurs choix d’agir se restreindre. Ces féminicides sont donc aussi le fruit des inégalités entre hommes et femmes.

Un travail de fond

En Espagne, c’est la mort tragique d’Ana Orantes, en 1997, qui aura fait prendre conscience de l’enracinement social et politique des violences contre les femmes. Cette mère de famille a témoigné, à la télévision, de 40 années passées à subir les coups de son mari, dont elle venait de divorcer. Elle a porté plainte 15 fois contre lui, ce qui n’a jamais mené à des arrestations. Ne supportant pas ce dévoilement, son ex-mari l’a assassinée. Le pays fut en état de choc. Le gouvernement espagnol a réagi en 2004 avec le vote unanime au parlement d’une loi contre les violences de genre, créant un Observatoire des violences domestiques, et mettant sur pied une centaine de tribunaux spécialisés en violences contre les femmes. Emboîtant le pas, les médias ont commencé à publier chaque crime et féminicide, documentant minutieusement la situation.

Pour le bien commun

Soutenu par les associations féministes, le gouvernement espagnol s’est équipé d’expertises et de spécialistes pour mener des campagnes de sensibilisation à grand déploiement.

Sans comparer l’Espagne et le Québec, on peut convenir du fait que lorsqu’une société se décide à changer, elle prend des mesures durables pour faire évoluer les mentalités.

Dans le lot de ces mesures, le soutien des hommes dans leur réflexion et le changement fait partie des moyens pour y parvenir. Et je précise ici qu’il n’est pas question de les cajoler, mais bien de faire ressortir que la socialisation est une chose qui se modifie, et qui peut s’améliorer pour le bien commun.

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