Il y a 20 ans, à l’époque où j’étais assis sur les bancs du cégep Maisonneuve, une vieille idée mourait lentement. Mes professeurs, aujourd’hui retraités, enseignaient encore l’idée selon laquelle la naissance de la philosophie, en Grèce antique autour de 600 av. Jésus-Christ, représentait une sortie d’une vision mythico-religieuse du monde.

Au lieu d’expliquer les choses en faisant intervenir des forces surnaturelles, comme Zeus en colère qui envoie la foudre disons, les Thalès de Milet et autres Anaximandre et Anaximène tentaient d’expliquer l’ordre de la nature en y puisant des explications qui lui étaient intrinsèques. Dit simplement : exit la religion, bonjours la philosophie, la science, etc.

Mais au même moment, des chercheurs illustres, tel le Français d’adoption d’origine québécoise Luc Brisson, publiaient des recherches montrant à quel point Socrate était croyant, et non strictement rationnel.

Sa mission philosophique, lit-on dans l’Apologie de Socrate, est née sous l’injonction d’un dieu, via une prêtresse, qui lui a mystérieusement révélé qu’il était le plus sage des hommes. N’osant jamais remettre en question cette révélation, Socrate opérait plutôt en tentant d’expliquer rationnellement ce qui lui a été révélé : pourquoi donc, en somme, Apollon dit-il que je suis le plus sage ?

Ainsi s’articulera un dialogue philosophico-religieux qui se poursuivra dans la pensée occidentale pendant 25 siècles, jusqu’à Heidegger, qui aimait à souligner la nature onto-théologique omniprésente de la compréhension de notre monde, dans un vaste pan de ce que nous nommons « philosophie » et « science ». Par exemple : même dans l’idée de big bang, on peine à se défaire de l’idée de moment zéro « créateur » mettant le reste en branle.

Un mythe tenace

Séparer strictement la religiosité de la philosophie est un geste beaucoup plus difficile qu’il ne le paraît. Pourtant, par son titre qui disparaîtra dans deux ans, le cours d’éthique et culture religieuse perpétuait ce mythe. C’est comme si, à force d’énumération, on pouvait plaire à tout le monde. Pourquoi ne pas continuer : éthique et culture religieuse et éducation sexuelle et formation citoyenne. Ça rentrerait mal dans une petite case de bulletin, sans doute.

Nous ne ferons pas disparaître la religion du tissu social du Québec, mais nous pouvons la ramener à la place minimale qu’elle mérite dans nos écoles, c’est-à-dire une place historique, dans une perspective critique, tel que semble le proposer la CAQ. Mais ça n’a strictement rien à voir avec les symboles revêtus par les professeurs, qui relèvent plutôt des libertés individuelles ; il se trouve simplement que certaines religions ont le symbole plus facile que d’autres, point à la ligne.

La vraie déconfessionnalisation du système éducatif québécois passe par la révision du cours d’ECR.

La CAQ a raison sur ceci : présenter aux élèves un menu du religieux au lieu d’une seule religion est une fausse piste, malgré toutes les bonnes intentions des concepteurs de ce cours. Voyons ECR comme une étape de transition. Le respect et le dialogue, au cœur des objectifs du cours présentement, passent par la philosophie, et non la religion à la carte. Ils passent par l’analyse de ce qu’est un dogme, une croyance, une déduction, un axiome, une prémisse, une conclusion, détachée des applications particulières de ces idées. Par exemple : est-il possible de vivre une vie sans dogmes ? L’argent, l’amour, le bonheur, Dieu, la famille, le progrès, l’environnement, la réussite, pour ne nommer que quelques exemples, sont-ils des dogmes au même titre ? Et puis : est-ce que tous les dogmes sont à rejeter ?

J’étais dans un colloque de professeurs du cours d’ECR, il y a quelques années en Mauricie, pour présenter ce que je fais dans mon cours sur le hip-hop, dont j’ai eu l’occasion de traiter dans ces pages. Les profs étaient engagés, attachés à leur discipline et sincèrement vivifiants. C’était des profs de philosophie. J’appelle le gouvernement caquiste à leur donner le nom qu’ils méritent. De cette manière, j’ose le rêver, on fera aussi disparaître une fois pour toutes cette réalité indigeste, par où des professeurs de musique et d’éducation physique sont appelés à compléter leur tâche en enseignant ce cours dont le titre renvoie à tout et n’importe quoi.

Les huit sujets liés au nouveau cours cités par le gouvernement dans leurs consultations sur la suite des choses (qui devraient être résumés par trois ou quatre idées, si on y travaillait un peu), pourraient facilement se ranger sous ce nouveau titre. Les thèmes : participation citoyenne, éducation juridique, écocitoyenneté, éducation à la sexualité, relations interpersonnelles, éthique, citoyenneté numérique, culture des sociétés.

La philosophie a sa place à tous les niveaux d’enseignement au Québec. À l’été 2013, je donnais des ateliers de philosophie pour enfants au camp de jour de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. C’était une des expériences les plus enrichissantes de ma vie. Les jeunes aiment la philosophie, mais ils détestent se faire passer au travers de la gorge par leurs profs des « bonnes valeurs » d’une évidence à faire pleurer un pape. Respectons-les, justement.

Et un dernier mot, pour mes collègues du collégial qui seraient inquiets à l'idée que notre discipline se fasse « piquer » par nos amis au secondaire et au primaire : nous sommes en masse capables de nous renouveler, si le besoin se faisait sentir.

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