Le ministre de l’Éducation a récemment annoncé une réforme « en profondeur » du controversé cours Éthique et culture religieuse, en souhaitant notamment réduire de manière importante la place qu’y occupe la religion.

Si l’on peut comprendre, dans notre société séculière, les raisons motivant une telle ambition, celle-ci ne fait pas moins preuve d’un aveuglement important et d’une totale méprise sur le rôle d’un tel cours. 

Si nous concevons le rôle de l’éducation comme celui d’outiller les élèves pour la vie adulte, c’est-à-dire la vie active d’un citoyen impliqué, force est de constater que celle-ci se doit de fournir les éléments notionnels et historiques nécessaires à une compréhension lucide de la société. Autrement dit, il faut savoir d’où l’on vient et qui nous sommes si nous souhaitons agir dans notre monde ; nous devons être en mesure d’exercer cet acte de réflexivité critique envers nos propres déterminations qui est le propre de toute conscience citoyenne éclairée. 

Or, la religion fait toujours partie de notre manière de concevoir le monde, en particulier la religion judéo-chrétienne.

Nous n’effaçons pas deux millénaires de christianisme institutionnalisé par une simple loi : des concepts religieux constituent encore activement notre grammaire mentale et culturelle.

Déjà, au début du XXe siècle, le philosophe allemand Carl Schmitt remarquait bien que la vaste majorité de nos concepts politiques sont en réalité des concepts théologiques sécularisés (pensons à la « dignité » humaine, chrétienne, qui sous-tend nos chers droits de l’homme). De la même manière, un autre penseur allemand, Karl Löwith, affirmait que l’homme moderne voit avec un « œil de raison, et un œil de foi ». Ce ne sont pas là des affirmations lancées en l’air. 

Par exemple, prenons notre idée du temps. Nous le concevons, en Occident, de manière linéaire, c’est-à-dire comme se déroulant entre un début (qui peut être autant le Big Bang que la création en sept jours) et une fin (que ce soit l’apocalypse chrétienne ou l’explosion du soleil).

Or, une telle idée est éminemment liée à l’émergence du monothéisme, juif puis chrétien, qui, en posant un dieu créateur situé à l’extérieur du temps, posait également un début au temps qui se déroulait alors vers une fin. Et tous les mouvements millénaristes (qu’ils soient religieux ou séculiers, l’on peut penser ici à la singularité scientifique) répondent à une telle mécanique du temps.

Au contraire, pour les religions polythéistes, le temps était conçu de manière cyclique : il n’y avait pas de création et donc, non plus, de fin.

La religion n’influence toutefois pas que notre concept du temps, mais aussi notre concept du monde.

Ce n’est que parce que nous le concevons, implicitement, comme créé (naturellement ou religieusement) qu’il nous est possible de lui conférer un caractère et de dire des choses du genre « le monde est bon ou mauvais ». 

Ces deux exemples, dont chaque lecteur ne pourra manquer de reconnaître la prégnance en soi, ne servent qu’à illustrer le fait que la religion et les conceptions religieuses continuent de former activement notre rapport au monde, autant dans notre culture (pensons à l’eschatologie de la science-fiction) que dans notre propre vocabulaire (quand nous référons au « progrès »). Ce faisant, l’étude des notions religieuses, en toute logique, devrait venir avant l’étude de notions plus typiquement modernes (toujours influencés par les premières) telles que la démocratie, la sexualité ou l’écoresponsabilité. 

C’est-à-dire que, loin de devoir accorder une place moindre à la religion, le nouveau cours Éthique et culture religieuse devra lui accorder, si nous souhaitons véritablement être probes et éclairés par rapport à notre propre culture, une place beaucoup plus importante. Car enfin, c’est dès que nous commençons, Occidentaux, à réfléchir et à parler que la religion se manifeste parmi nous. Et nous ne pourrons « sortir de la religion », si tel est notre souhait, qu’en prenant lucidement conscience, dès le plus jeune âge, de son effet continuel en nous.

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