Sympathiser avec les travailleurs de Loblaw/Provigo qui perdront leur emploi est tout à fait normal. Mais plusieurs entreprises en transformation alimentaire risquent d’écoper dans l’indifférence.

La véritable colonne vertébrale de notre économie agroalimentaire est la distribution. Nous l’avons bien vu l’automne dernier avec la grève du CN. En un instant, notre économie se retrouvait paralysée. Elle est d’une importance capitale, mais aussi bien cachée, loin des consommateurs. Ce concept de la distribution quasi invisible au grand public est devenu un véritable champ de bataille pour les grandes enseignes, et pas par hasard.

Le géant de la distribution Loblaw a annoncé cette semaine la fermeture de ses centres de distribution de produits non périssables à Laval et à Ottawa, ce qui entraînera la suppression de près de 800 emplois. Environ 545 employés au nord de Montréal seront touchés d’ici la fin de 2021 et la distribution des produits non périssables se verra relocalisée vers un complexe automatisé d’un sous-traitant de Cornwall en Ontario.

Plus de 700 employés qui gagnaient dans l’ensemble de 20 à 30 $ l’heure se retrouveront au chômage. Malgré notre manque d’appréciation pour la distribution alimentaire, tout le monde peut comprendre que perdre des emplois fait mal. Les employés ont tout de même deux ans pour se trouver un nouvel emploi dans un contexte économique très favorable pour les travailleurs, avouons-le. Pour le secteur agroalimentaire, il manque de monde.

Probablement que l’ensemble des travailleurs à Laval et à Ottawa trouveront un autre emploi dans le secteur d’ici 2021.

Sobeys et Metro, les autres grands de la distribution, ont dû faire des choix semblables ces dernières années. Depuis qu’Amazon a mis les mains sur Whole Foods en 2017, les choses ont bien changé au sein de l’industrie. Loblaw, Sobeys et Metro doivent dorénavant miser sur une logistique plus performante afin de répondre à une clientèle en transition. La volonté d’offrir des produits en ligne, l’achat cybernétique constitue un enjeu important. Moins de 2 % des ventes en alimentation sont effectuées en ligne, mais de plus en plus, les consommateurs se laissent tenter par l’expérience devant un écran, à la maison.

Amazon, le maître des sciences analytiques et de la logistique, s’avère le véritable coupable de la fermeture des centres à Ottawa et Laval. Automatiser la distribution lorsque le but ultime consiste à livrer des produits alimentaires le jour même à des milliers de clients partout au Canada devient la priorité pour l’ensemble du secteur.

Loblaw a cru bon de centraliser ses opérations à Cornwall, un endroit situé entre les axes urbains importants dans l’Est canadien, Montréal, Toronto et Ottawa.

Fait intéressant, la distribution à Cornwall se fera en sous-traitance. De plus en plus, les grands de la distribution ne se gênent pas pour travailler avec des entreprises qui s’y connaissent en logistique. La rapidité d’exécution devient essentielle et des partenariats en logistique représentent une solution de plus en plus privilégiée. Pour cela, il faut établir un réalignement des circuits de distribution.

Relocalisation

Le secteur pourrait avoir le même nombre d’employés d’ici 5 à 10 ans, mais ces emplois comporteront des tâches différentes, et nécessiteront des compétences très différentes aussi. Et surtout, ces emplois seront localisés à différents endroits comme Cornwall, Guelph, Waterloo, Winnipeg, Regina, pour n’en nommer que quelques-uns, qui sont tous des centres qui consacrent leurs efforts à attirer des entreprises œuvrant dans le domaine de la distribution. Ces villes ont accès à des centres intermodaux, sans être trop loin des grands centres urbains. Et surtout, elles comprennent que la logistique n’a pas de frontière.

Mais les plus grands perdants du transfert à Cornwall, outre les travailleurs qui perdront leur emploi, bien sûr, sont les fournisseurs de Loblaw.

La grande majorité des transformateurs alimentaires au Québec et dans la région d’Ottawa vendent à Loblaw. Afin de maintenir les prix des produits que nous achetons, Loblaw et l’entreprise de Cornwall transféreront les coûts supplémentaires à leurs fournisseurs. Cette pratique ne date pas d’hier et malheureusement, nos transformateurs, les véritables architectes de l’innovation, écoperont dans le silence total. Ils devront assumer des coûts de transport supplémentaires et les critères de livraison deviendront sûrement de plus en plus exigeants et onéreux.

Il arrive souvent que certaines entreprises doivent effectuer des mises à pied dans l’obscurité. Même si le secteur de la transformation alimentaire emploie plus de 240 000 personnes au Canada, le secteur a perdu plus de 20 000 emplois depuis les cinq dernières années. Une véritable tragédie.

Éprouver de la sympathie pour les travailleurs de Loblaw à Laval et à Ottawa est tout à fait normal, mais il faut aussi réfléchir aux conséquences de ces fermetures en amont de la chaîne.

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