En ce début d’année 2020, la petite Greta regardait la neige tomber doucement, à travers la fenêtre du salon de sa demeure à Stockholm. Bien calée dans un grand sofa de cuir chaud et douillet, elle songea à son long pèlerinage des derniers mois, à tenter de convaincre les gouvernements d’agir promptement contre le réchauffement de la planète. Un sentiment d’épuisement et de lassitude l’envahissait. « Tout avance si lentement… », pensait-elle.

Son regard se porta sur les petits elfes en pain d’épice, tout mignons avec leurs yeux et leurs boutons faits de bonbons, que sa mère venait de confectionner. « Oh, en cette nouvelle année, comme j’aimerais avoir le pouvoir, d’un coup de baguette magique, de persuader les grands de ce monde d’agir pour le climat », soupira-t-elle.

C’est alors qu’elle crut apercevoir du mouvement sur le plateau de pain d’épice. « Ai-je la berlue ? Il me semble qu’un des elfes a bougé ! »

Pourtant, à sa grande stupeur, elle vit l’un d’eux prendre vie, sauter du plateau et marcher tout bonnement vers le sofa, s’installant sur l’accoudoir. Avec son sourire en pâte d’amande, il s’adressa à Greta : 

— Je suis l’elfe économiste.

 — Un elfe économiste ? Ça existe ?

— Oui, bien sûr ! Et j’ai comme mission de venir réaliser ton vœu.

L’elfe sortit de nulle part un très vieux parchemin sur lequel était inscrit un court texte en lettres gothiques. « Ceci est une incantation magique. Chaque fois que tu la liras à voix haute, tu augmenteras automatiquement le niveau de la taxe carbone dans tous les pays du monde », expliqua-t-il.

Greta savait que le carbone — surtout le pétrole et le charbon — est la principale source de gaz à effet de serre (GES) qui, en s’accumulant dans l’atmosphère terrestre, cause le réchauffement de la planète. L’elfe poursuivit : 

— L’incantation, en haussant la taxation carbone, fera apparaître les quatre chevaliers de la substitution.

— La substitution ? Qu’est-ce ?

— La substitution est un concept simple. Lorsque le prix d’un bien augmente, les consommateurs sont incités à acheter des produits substituts à la place. Le prix des pommes augmente ? Les gens reportent leurs dépenses sur les poires !

— Mais quel est le rôle de la substitution pour sauver la planète ?

— Prends le parchemin, récite bien fort l’incantation et tu comprendras.

Perplexe, elle posa un regard étonné sur le texte, hésita d’abord, puis se résolut en déclamant : « Oh, grandes forces des dynamiques économiques, que surgisse la transition énergétique ! »

Le chevalier de l’énergie

C’est alors qu’apparut un intrigant personnage chevauchant une grande monture blanche, armé de concepts économiques.

« Bonjour, Greta, je suis le chevalier de l’énergie ! », s’exclama-t-il d’une voix grave mais enjouée. « Je suis responsable de la substitution des formes d’énergie. En ce moment, les énergies renouvelables coûtent très cher et elles manquent d’efficacité, alors que les énergies carbone sont beaucoup plus abordables. C’est pourquoi la demande pour les énergies renouvelables reste encore si faible. »

Avec sa grande moustache blanche qui semblait danser sous son nez, il poursuivit : « Mais lorsque tu imposes une augmentation de la taxe carbone, tu incites les gens à substituer des énergies renouvelables aux énergies carbone. Cela ouvre alors un marché très profitable pour des énergies propres. Les entrepreneurs seront grandement incités à y investir, pour améliorer leur efficacité, baisser leurs coûts de production et développer de nouvelles formes énergies. »

« Peut-être même qu’on trouvera un moyen fructueux et rentable d’extraire le carbone directement dans l’atmosphère ! », ajouta-t-il.

Le chevalier des processus

Un deuxième chevalier surgit et s’inclina devant elle d’un large geste théâtral : « Je suis le chevalier des processus ! Avec une taxe carbone, j’incite les entreprises à substituer des processus moins énergivores à leurs vieilles méthodes de production. Les entreprises voudront tout mettre en œuvre pour diminuer leur consommation d’énergie. Avec moi, fini le gaspillage et vive l’efficacité énergétique ! Ce faisant, les entreprises deviendront plus productives et efficientes, et donc plus rentables. »

L’elfe invoqua un autre pouvoir du chevalier des processus : « N’oublie pas que le plastique est un dérivé du pétrole. Si on taxe le pétrole, le plastique coûtera donc plus cher, ce qui limitera sa surconsommation et encourageant le recyclage en substitution. »

Le chevalier des équipements

Doté d’une éclatante armure de fer, un troisième chevalier se présenta : « Bonjour, Greta, je suis le chevalier des équipements ! Avec une taxe carbone, j’incite les entreprises et les consommateurs à utiliser des équipements, des machines et des véhicules qui consomment moins d’énergie ou qui fonctionnent avec des énergies renouvelables. Je travaille donc avec le chevalier des processus. Tout cela ouvre un marché gigantesque pour des producteurs capables d’offrir des solutions plus écologiques. »

La jeune Suédoise comprit alors que, sans la taxe, les acteurs économiques ont peu d’incitatifs à investir massivement dans tous ces marchés d’avenir, tant que le prix du pétrole et du charbon sera aussi bas face au coût des énergies renouvelables.

Le chevalier de la consommation

C’est alors que Greta vit apparaître le quatrième chevalier, muni d’une longue cape grise et scintillante qui voguait derrière lui : « Bonjour, Greta, je suis le chevalier de la consommation, proclama-t-il. Si une entreprise ne fait pas les efforts nécessaires, alors elle devra subir le surcoût de la taxe carbone qu’elle devra reporter sur ses prix de vente. »

Ainsi, par la force de la taxe carbone, les consommateurs seront incités à acheter des produits venant de concurrents moins chers qui, eux, auront réalisé un effort de développement durable. La demande — et donc la rentabilité — des entreprises plus énergivores diminuera. « C’est une très forte incitation à devenir plus vertes, par mon pouvoir sur le portefeuille des consommateurs », s’exclama fièrement le chevalier de la consommation.

***

Les chevaliers joignirent alors leurs mains et, à l’unisson, s’exclamèrent : « Que surgisse la transition énergétique ! » et ils disparurent à l’horizon.

Quand les quatre chevaliers de la substitution s’activent ensemble, ils deviennent une puissante force économique pour amplifier, à une vitesse extraordinaire, les efforts de réduction des GES.

« Tu vois Greta, expliqua l’elfe économiste, la transition énergétique nécessite des investissements gigantesques afin de développer des énergies et des technologies qui consomment moins de GES. Pour cela, nous avons besoin d’un incitatif économique fort pour que les PME, les investisseurs, les scientifiques et les gouvernements déploient tous leurs talents, leur créativité et leurs efforts à cette transition énergétique, parce qu’ils y trouveront un retour financier immédiat. »

L’elfe insista sur un point : « L’objectif d’une taxe carbone n’est pas d’engranger des revenus supplémentaires pour l’État. C’est un outil financier incitatif, pour modifier profondément les comportements des entreprises et des individus. Tous les revenus de la taxe devraient être réinvestis pour accélérer la transition énergétique. »

« Il se développera de nouveaux marchés ; des emplois et des entreprises seront créés. Il y aura une croissance… mais une croissance alternative, durable et verte », conclut-il avec résolution.

C’est ça, la magie de la taxe carbone !

***

Greta se réveilla sur son sofa. La brunante s’installait dans le ciel de Stockholm. Elle regarda autour d’elle, se frottant les yeux. Les elfes en pain d’épice étaient tous à leur poste, immobiles.

Avait-elle rêvé ?

Greta n’en était plus sûre. Mais elle avait le cœur empli d’un optimisme renouvelé : « En cette nouvelle année, je reprends l’espoir que notre monde pourra quand même s’en sortir. Je continuerai le combat ! », se dit-elle.

Chers lecteurs et chères lectrices, je vous souhaite de contribuer à votre tour au combat. Les quatre chevaliers de la substitution n’attendent que notre détermination pour partir en bataille et accomplir la transition énergétique.

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