Dans les médias et les réseaux sociaux, les bilans de l’année 2019 s’amoncellent, les prédictions pour 2020 pleuvent.

On y traite de dossiers chauds qui suscitent les passions dont, entre autres, la protection du français, la loi sur la laïcité, l’immigration et l’environnement. Le tout enrobé de ce mot magique, qui, par sa seule évocation, aura eu le mérite de rehausser notre estime de soi collectivement affaiblie par des années de gouvernement libéral où oser affirmer notre identité nationale nous couvrait d’opprobre. 

L’éducation ? Pas assez hot !

Un mot solaire, positif et fort qui fait déplacer des montagnes. Un mot de six lettres ressemblant étrangement au mot anglais « fierce », sans sa connotation de violence. FIERTÉ. Le premier ministre François Legault, tel un druide de la fierté retrouvée, a eu le mérite de s’en servir comme une potion magique pour insuffler un regain de vie et ragaillardir ses troupes. Une potion magique dont l’effet, cependant, commence à s’éventer. 

Et l’éducation dans tout cela ? Pas assez hot comme sujet. Pas assez sexy. Un sujet de femmes et de maîtresses d’école… La fierté ne s’inculque pas à coups de rigodons, de Lab-école improvisés, de maternelles quatre ans ou de démantèlement des commissions scolaires.

La fierté passe par la valorisation de l’éducation, la fin du mépris de cette profession souvent associée aux femmes (de trop bonne volonté).

Comment parler de fierté quand les salaires des enseignants sont parmi les plus bas comparativement à ceux des autres provinces canadiennes ? Comment oser parler de fierté quand plusieurs de nos écoles publiques sont dans un état de décrépitude avancée et en dangereuse surpopulation ? Comment parler de fierté quand plusieurs écoles se privent d’une bibliothèque faute d’espace ?

Oserais-je le dire, j’ai un peu honte quand je me rends à cette petite école primaire où je suis spécialiste en francisation et que je vois ces casiers rouillés rose vomi. J’ai un peu honte quand j’entre dans mon « bureau » converti en chambre de débarras. J’ai un peu honte de courir d’une classe à l’autre, car je n’ai pas de bureau adéquat pour y accueillir mes élèves et que j’essaie de me frayer un chemin dans le corridor bondé d’élèves et jonché de bottes d’hiver et de rebuts de toutes sortes. 

Pendant ce temps, au tiers-monde

Des flashes de mon ancienne vie me reviennent parfois : quelque part dans un de ces pays lointains souvent associés au tiers-monde. Quelque part dans une superécole où chaque enfant a son ordinateur, se prélasse dans une bibliothèque à deux étages high-tech et conviviale, et peut s’informer auprès de trois bibliothécaires avides de répondre à toutes leurs questions. 

Une école où l’on retrouve autant d’hommes que de femmes chez les enseignants, la plupart expatriés et triés sur le volet. Une de ces écoles dont les droits de scolarité annuels se situent autour de 25 000 $US. Une école pour les riches locaux et les expatriés. Une école de luxe juxtaposant les bidonvilles. Cela ne rend pas fière non plus.

Je suis donc de retour dans mon pays riche et j’enseigne dans une école décrépite alors que j’enseignais dans des écoles de riches dans des pays décrépits.

Et pourtant, je suis revenue au Québec et je ne regrette pas ma décision. Je suis fière d’enseigner le français à des enfants venus de partout qui en ont grandement besoin et dont l’apprentissage du français n’est pas un luxe, mais une nécessité. 

Je suis fière de voir à quel point le personnel enseignant d’ici est compétent, bienveillant et résilient. Et c’est là peut-être sa principale faiblesse : les enseignants sont si bienveillants et résilients qu’on leur demande presque l’impossible. Et ils le font. On leur demande d’accepter l’inacceptable. Comme dirait Eugène Ionesco : « Qui est le plus sage ? Celui qui accepte tout ou celui qui a décidé de ne rien accepter ? La résignation est-elle une sagesse ? »

En tout cas, elle n’est pas la voie royale pour accéder à la fierté tant recherchée. Éducation et fierté « sont deux mots qui vont très bien ensemble, très bien ensemble », comme dirait l’autre.

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