Le 1er janvier à une heure du matin, j’étais aux urgences de l’hôpital Notre-Dame de Montréal. Mon compagnon venait de faire une syncope, les ambulanciers avaient évalué un cœur instable, nous nous sommes retrouvés au triage.

Au moment où on roulait sa civière vers le poste de l’infirmière, une toute jeune femme un peu intoxiquée est entrée en trombe dans la salle, prenant appui sur un jeune ambulancier sur lequel elle s’était jetée après avoir été déposée dans l’entrée des urgences par son chauffeur Uber. La jeune femme venait de faire une chute en bas d’un escalier extérieur. En tombant, trois de ses doigts avaient été sectionnés.

Aux cris qui venaient de faire irruption dans la salle, j’ai levé la tête et attrapé du regard la main amputée, la chair ouverte, les doigts perdus. Pendant un instant, j’ai eu l’impression d’être dans un épisode d’une série télévisée. Les doigts étaient restés collés sur la balustrade de l’escalier.

Le jeune ambulancier est parti essayer de les retrouver, ce qu’il a réussi à faire, les rapportant, congelés, pour qu’ils soient rattachés à la main de la jeune femme illico envoyée au CHUM où on procède à ce type de chirurgie. De ce cinéma qui s’est déroulé sous mes yeux, les infirmières et l’urgentologue de service ce soir-là sont les héroïnes, avec leur calme, leur gentillesse, leur douceur et leur efficacité.

Des urgences au Bye bye

Une fois le cœur de mon compagnon stabilisé, nous avons quitté les urgences au petit matin. Quelques heures plus tard, devant la reprise du Bye bye 2019, j’ai repensé à l’impression que j’avais eue devant la main sanguinolente de la patiente des urgences : la réalité ressemblait à de la fiction.

Maintenant, je me demandais si la fiction du Bye bye avait vraiment à voir avec la réalité.

Je n’ai pas de télévision, ce dont je ne souffre jamais, sinon au moment de cette fête nationale qu’est le Bye bye. Fête nationale de la déception collective, semble-t-il, puisque tous les ans depuis des lustres, peut-être depuis l’âge d’or des Cyniques dont les plus âgés sont nostalgiques (OK, boomer), au lendemain du Bye bye, bon nombre de téléspectateurs s’en plaignent. 

Je n’ai pas envie de faire un procès à cette émission de fin d’année — je comprends combien il est difficile de dresser un bilan, d’effectuer un choix parmi une série d’événements qui auront marqué une portion ou une autre de la population. Je suis convaincue qu’il est impossible qu’une seule émission satisfasse les attentes de tout le monde. Mais reste l’éléphant dans la pièce : c’est un boys’ club qui l’a scénarisée. 

L’équipe d’auteurs du Bye bye 2019 est formée de gars, une équipe qui se met en scène dans l’épisode du blackface. Dans cette scène où les scénaristes s’interrogent, autour de la table, sur la pertinence de faire une blague entourant le blackface de Justin Trudeau (s’il y a aussi des femmes autour de cette table, elles ne disent pas un mot), ce qui est évité, justement, c’est la question du boys’ club : comment un groupe de gars peut-il, à lui seul, être le visage de « tout le monde », du Québec au grand complet ?

On me répondra sans doute qu’on manque de scénaristes femmes, surtout dans le domaine de l’humour (ce qui est faux, bien entendu, faut-il encore le rappeler ? D’ailleurs, on peut proposer des noms !) On me répondra sans doute aussi qu’il s’agit de repérer et de scénariser des événements qui ont marqué l’actualité de manière générale. Mais ce boys’ club scénaristique nous force à nous demander de quelle réalité on se moque quand, autour de la table, un seul groupe est représenté.

Je n’ai pas fait le compte du nombre de blagues dont ont fait l’objet les femmes et les hommes, mais j’ai été sensible à la manière dont l’humour s’est accroché, encore une fois, à certaines « minorités » : les identités LGBTQIA2+, par exemple, dont on pense qu’il est encore pertinent de se moquer, des femmes musulmanes, et bien sûr des féministes, ces rabat-joie par excellence, castratrices qui ont perdu le sens de l’humour.

Comme si, à la veille de 2020, les cibles ne pouvaient qu’être encore et toujours les mêmes dans la cour d’école du rire.

Ce que je nous souhaite, pour l’année 2020, c’est d’avoir l’intelligence de faire de l’humour sur le dos des boys’ clubs qui détiennent le pouvoir, question de les remettre à leur place. Ce que je nous souhaite aussi, c’est de revoir la composition des boys’ clubs responsables de s’en moquer !

Imaginons ce que ça pourrait donner si, autour de la table, au lieu d’une gang de gars, on trouvait un groupe d’auteur.e.s à l’image du Québec d’aujourd’hui. Un groupe de scénaristes à l’image de celles et ceux qui travaillaient aux urgences de l’hôpital Notre-Dame au moment même où, partout autour, on festoyait pour passer le cap de la nouvelle année.

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