Je ne prends jamais de résolution de début d’année. Pourtant, pour la première fois de ma vie j’ai terminé l’année avec un souhait et un engagement.

Je vous explique : ces dernières années je me suis trop tue. J’aurais aimé parler davantage publiquement pour dénoncer ce que je considère comme des affronts répétés envers les femmes et leur parole. C’est au lancement du livre Le Boys Club de Martine Delvaux à l’automne dernier que j’ai pris cet engagement : qu’en 2020, ma parole et mes convictions féministes soient exprimées à plus grande échelle, pas seulement par mes livres et mes conférences. Je voulais cesser de me retenir.

Oui je me retiens, je l’avoue, car s’il fallait que chaque fois que je suis en colère quand je constate que les femmes n’ont pas le droit de parole et que les boys’ clubs sont encore plus que jamais légion, j’écrive un texte sur le sujet, je consacrerais plusieurs heures par semaine à cette tâche.

Je m’en suis voulu de me taire aussi souvent, surtout que je suis féministe depuis que je suis née.

Quand j’étais enfant, ma mère me faisait lire à voix haute des textes féministes. Louky Bersianik, Nicole Brossard, Denise Boucher, Simone de Beauvoir m’ont fait comprendre très tôt que non seulement j’avais le droit d’exister, mais j’avais le devoir de prendre ma place parce qu’on n’allait pas me la donner.

Le cœur gros

J’ai tenu parole dès la première journée de l’année. J’ai écrit ce texte après avoir regardé le « By by ». Après l’avoir regardé, comme chaque année, je me suis couchée en colère. Faux. Je me suis couchée le cœur gros. J’étais triste de constater qu’il est encore considéré acceptable, en 2020, que les femmes n’aient pas de place dans la création (textes, réalisation, idéation, production) d’une émission censée relever humoristiquement les faits qui ont marqué l’année.

Triste que personne n’ait jugé essentiel de voir à ce qu’il y ait des femmes autour de la table qui elles aussi ont voix au chapitre concernant les orientations, les angles, la direction et les décisions à prendre lors de la production du « By by ».

Les femmes n’existent-elles donc pas au point de ne pas attacher d’importance à leur essentielle présence ? Quand je veux savoir si j’exagère dans mes observations et mes émotions qui y sont rattachées, je me sers de ce petit truc que m’avait donné Lise Payette : prenez une situation, inversez les rôles et demandez-vous comment les gens réagiraient.

Imaginez que pendant des décennies, le « By by » soit scénarisé, réalisé, conçu et produit seulement par des femmes. Ne croyez-vous pas que tout le monde en parlerait, s’insurgerait et demanderait : « Mais où sont donc les hommes ? »

Il me semble qu’après tant d’années de dénonciation de ce que nous jugeons inacceptable (rappelez-vous, au débat des chefs en octobre dernier, quand cinq hommes discutaient du droit à l’avortement), nous aurions pu nous attendre en 2020 à vivre dans une société qui aurait eu à cœur de dire « Bye Bye » à cette réalité : des hommes blancs qui créent, qui scénarisent, qui nous présentent leur vision du monde et qui prennent la parole sur toutes les tribunes importantes sans se soucier d’une équité homme-femme ?

Je ne veux plus me coucher le cœur gros. C’est mon engagement pour 2020. Ma solution : en parler, le dire, le nommer. 

Le mythe de l’égalité « déjà-là », vous connaissez ? Si l’on croit que les boys’ club, ça n’existe pas et que l’égalité est déjà-là, on ne pourra pas s’activer à tout faire pour que des changements soient apportés. 

Que fait-on pour féminiser un mot ? On y rajoute la lettre « e ». Je les ai retirées du titre Bye bye et elles en seront exclues tant que je ne pourrai avoir le bonheur de constater, dans un avenir que je souhaite rapproché, que l’équipe de création n’est plus exclusivement composée d’hommes blancs et que non seulement on invite des femmes à faire partie de l’équipe de création, mais on les réclame. 

C’est à ce moment et pas avant que je consentirai à replacer les « e » à leur place. Quand les femmes pourront elles aussi avoir la leur.

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