Dans un récent communiqué, Klaus Schwab, fondateur du Forum économique mondial — plus communément appelé forum de Davos — posait la question suivante : quel genre de capitalisme voulons-nous ?

La pertinence de la question se confirme par les réalités contemporaines imposées par un système de plus en plus déconnecté des réalités de ses multiples parties prenantes.

Inégalités nationales et transnationales grandissantes, l’effet Thunberg, la guerre tarifaire opposant les États-Unis à la Chine, les tensions au Parlement allemand autour du ban de Huawei, l’opposition citoyenne grandissante à Amazon, plus près de nous, la saga SNC-Lavalin ; tous ne sont que des symptômes d’un modèle en crise, des problématiques de gouvernance privée comme publique, certes, mais surtout une faille dans l’ADN même des entreprises et de nos pratiques de gouvernance. 

L’histoire du système économique basé sur l’accumulation de capital n’a jamais été sans soubresauts, mais il semblerait que notre époque pose des questions plus fondamentales à un système qui organise nos sociétés depuis plusieurs siècles.

Le manifeste de Davos de 1973 : primauté des actionnaires

Le Forum économique mondial de Davos, haute sphère des tractations concernant notre système économique, avait à l’origine été créé pour assurer un milieu d’échange et de coopération entre les sphères publiques et privées pour s’attaquer aux problèmes de l’heure touchant les sociétés et le monde des affaires.

En 1973, ce sont la chute du régime de changes fixes du système de Bretton Woods et la guerre du Kippour qui sont à l’ordre du jour. Comment, alors, des décisions managériales et des politiques d’entreprises et publiques peuvent avoir une influence sur des questions économiques et sociales plus larges ?

C’est à la suite de ce dilemme que sont conviés leaders politiques et d’entreprises à Davos dès l’année suivante. Klaus Schwab développe alors un modèle de gouvernance axé sur les parties prenantes, avec toutefois une vision limitée de celles-ci.

Au point A du manifeste de Davos de 1973, on retrouve les employés, les gouvernements et les communautés directes en tant que parties prenantes.

La suite du manifeste demeure par contre centrée sur l’importance des clients et des actionnaires, à l’exception d’une note finale concernant les communautés et l’usage efficace des ressources — donc, le profit. Le manifeste proposait ainsi la raison d’être, la ligne éthique et la base légale de toute entreprise aux idées de grandeur.

Le manifeste de Davos de 2020 : priorité aux parties prenantes

Au mois d’août dernier, la Business Roundtable des États-Unis, groupe d’entrepreneurs et de dirigeants à la tête des plus grandes entreprises du pays, abandonne formellement le modèle de maximisation du retour aux actionnaires.

On entend surtout de ce retrait que l’intérêt de l’actionnaire n’aura plus toujours primauté sur celui des autres parties prenantes. Dans son communiqué, l’organisation parle du besoin d’offrir de meilleurs salaires, des avantages sociaux, la nécessité de mieux former et recycler les employés, etc.

Ce changement de politique et de gouvernance d’entreprise informe une transition qui appelle à changer le rôle même de l’entreprise dans la société. À l’image de la nouvelle mouture du manifeste de Davos lancée au début de décembre dernier, l’idée est d’opter pour une redéfinition du sens du retour sur capital de sorte à protéger les parties prenantes et la société au sens large, des employés aux consommateurs mal informés, mais aussi les fournisseurs, détaillants et les générations futures. La nouvelle version du manifeste s’ouvre d’ailleurs sur une déclaration que la création de valeur doit être durable et partagée entre toutes les parties prenantes sur le long terme.

Ainsi, selon le nouveau manifeste, l’entreprise est plus qu’une simple unité économique, mais se doit de réaliser un potentiel social et humain en tant que partie d’un grand écosystème.

Le retour sur investissement aux actionnaires, qui n’apparaît qu’à mi-chemin dans le nouveau document, est cette fois mitigé par les besoins pour l’entreprise de gérer ses risques, mais aussi de financer l’innovation et l’investissement durable. On met l’accent sur une transition qui ne demande non pas un développement plus sensé, mais d’être plus sensé sur ce que nous développons.

Concrètement…

Ce changement de cap signale clairement une volonté de changer le business as usual. Le nouveau modèle devrait servir de catalyseur à la création de « bons emplois », créatifs et réalisateurs d’une meilleure qualité de vie, et de nouveaux modèles d’affaires plutôt qu’à l’expansion du fossé entre les emplois bien payés et la grandissante gig economy.

À l’opposé d’un géant comme Amazon qui cherche à s’accaparer le marché (présentement sous enquête par les autorités anti-trust américaines), il faut valoriser des modèles tels que celui du géant chinois Alibaba, à l’origine créé comme plateforme pour améliorer l’accès et la pénétration du marché de petites et moyennes entreprises chinoises, peut-être un modèle à suivre au Québec.

Les annonces à l’issue du voyage du gouvernement Legault en Californie en décembre dernier s’inscrivent dans la lignée de ce nouveau modèle, avec la création et l’amélioration d’emplois dans l’industrie cinématographique et la coopération avec la Californie pour la bourse du carbone.

Toutefois, dans le même ordre d’idées, il y aurait lieu d’intensifier la collaboration afin d’établir des méthodes de quantification de la création de valeur pour les parties prenantes comprenant autant la durabilité environnementale que l’investissement social et la gouvernance, en plus des données financières qui perdent de plus en plus en pertinence.

Ainsi, il serait possible de voir l’effet réel de telles politiques gouvernementales et pratiques d’entreprises, et éviter, justement, qu’elles ne soient que des faux-semblants.

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