La pulp fiction québécoise existe. Entre 1944 et 1965, les Éditions Police-Journal, à elles seules, font paraître pas moins de 878 titres dans leur série « Roman d’amour ».

Ces histoires rapidement écrites dans un style assez pauvre sont très intéressantes, car elles renseignent sur l’imaginaire social du Québec de l’après-guerre. On y découvre que la question de l’argent semble beaucoup faire rêver le lectorat, majoritairement féminin.

Dans les romans de Police-Journal, il n’est pas question que le prétendant de l’héroïne soit pauvre, car après tout, comme le rappelle le roman Le hockey et l’amour (c. 1955), « nous sommes faits d’un cœur pour aimer, mais aussi d’un corps qui doit bien manger ».

La narration raconte comment l’héroïne n’aura pas à troquer la richesse contre l’amour. Ainsi, quand (dans La p’tite fille à papa, 1952) la riche héritière Louise annonce à son père son souhait de se marier avec Jude, elle lui déclare : « Nous nous aimons, papa, et rien ne peut nous séparer. Nous ne pouvons rien contre l’amour. »

Son père lui réplique aussitôt : « L’amour, c’est bien beau, ma petite Louise, mais il n’y a pas que ça dans la vie. »

Tout l’art de la fiction sera par conséquent de faire concilier le besoin d’accéder à la richesse de l’héroïne avec la nécessité d’être en amour, c’est-à-dire de raconter qu’il n’y a que l’amour dans la vie, et que pourtant il n’y a pas que ça.

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Mon grand amour

L’exemple de L’argent de la chair

Le roman L’argent de la chair (1956) est un très bon exemple de ce discours. Robert Vincent, fils d’un industriel extrêmement riche, est amoureux de Rita Bonair, qu’il a demandée en mariage. Rita vient de la Gaspésie. C’est, on le devine, une villageoise sans le sou et sans éducation.

Le père de Robert condamne cette liaison avec ce qu’il croit être une « coureuse ». Il propose à Gustave Palmier, un industriel en difficulté financière, d’accorder la main de sa fille, Gisèle, à son fils, contre un chèque de 50 000 $. Il se rend chez Rita, et la trompe en lui racontant qu’il est ruiné, que Robert ne pourrait jamais être heureux sans argent, qu’il pensait pouvoir se sauver de la banqueroute en célébrant le mariage de son fils avec Gisèle, et qu’il ne peut faire autrement, si Robert refuse cette union, que de se suicider.

Horrifiée, Rita promet de quitter Robert et de se cacher loin de Montréal. Elle écrit une lettre d’adieu à Robert : « Mon cher Robert, […] je croyais qu’il me suffisait de vouloir aimer un homme riche pour trouver le bonheur, mais tout cela est faux… Celui que j’aime est pauvre et je pars le retrouver car l’amour ça ne s’achète pas plus que ça se vend. » En signe de sa parfaite abnégation, elle lui redonne les bijoux qu’il lui avait achetés.

Pour sa part, folle amoureuse d’un architecte, Gisèle accepte elle aussi de se sacrifier pour le bien de sa famille. Elle promet à son père d’épouser Robert si cela peut le sauver de la ruine. Elle écrit à son fiancé : « Des raisons de famille m’obligent à épouser un jeune homme riche et malgré l’effarement qui s’empare de moi, mon devoir est là, me commandant d’accepter pour époux un homme que je n’aime pas. » Gisèle renie l’amour de sa vie et sacrifie à jamais son bonheur personnel pour le bien de sa famille.

Tout se termine cependant dans l’allégresse : Robert évente le stratagème de son père et retrouve Rita. Il prouve à son père que Rita est une bonne et sage fille, tout à fait digne d’être aimée, elle qui n’a pas hésité à suivre la ligne que lui dictait le devoir et à sacrifier pour lui et la richesse et l’amour. En récompense de son esprit de sacrifice, elle obtiendra les deux.

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Je serai mère

La nécessité de l’argent pour être heureux en amour

Les récits des Éditions Police-Journal soulignent de diverses manières la nécessité de l’argent. En fait, avec un peu de cynisme, nous pourrions établir que la richesse acceptable, pour une bonne portion des livres de pulp fiction de l’époque, impose la barre minimale des 50 $ par semaine (500 $ en dollars d’aujourd’hui). Chose certaine, le héros ne peut pas être pauvre. Il doit exercer un bon métier, relatif à ce que peut espérer l’héroïne.

On pourrait rire de cette littérature populaire si cet imaginaire ne continuait pas à survivre dans les discours contemporains.

Car, avouons-le, l’espoir de marier un homme riche hante encore les rêves de bien des jeunes femmes d’aujourd’hui.

Dans le cadre d’une étude sur les motivations sentimentales (« How cultural systems become desire : a case study of American romance », 2012), la chercheure Dorothy C. Holland a interviewé récemment plusieurs Américaines. L’une d’elles lui a avoué une conception de l’amour qui n’est pas sans rappeler les histoires de notre corpus : « Se marier avec un homme riche est juste une autre façon de dire qu’on veut épouser l’homme idéal… c’est juste une chose à laquelle tout le monde pense… Un bel homme riche qui m’aime beaucoup et ne me laisse pas faire la cuisine… et qui vit dans une grande maison. »

À lire de telles déclarations, on comprend mieux que les romans sentimentaux, qui ne semblent parler que d’amour, puissent en fait exprimer en filigrane tout autre chose. Ils confirment, plutôt qu’ils le nient, le dicton populaire postulant que seuls les diamants sont éternels.

Série Amours d’antan

Jeudi 26 décembre
L’amour au temps de la bourgeoisie catholique

Vendredi 27 décembre
1845 : les tourments d’un journal intime

Samedi 28 décembre
Mange, paie, aime

Dimanche 29 décembre
1890 : le langage de l’amour de Mlle Nitouche

Lundi 30 décembre
Cher bonheur conjugal…

Mardi 31 décembre
L’amour, un piège pour les femmes ?

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