La lettre s’adresse à Michel Labrecque, président-directeur général de la Régie des installations olympiques

« Voyez pour l’avenir ; pour moi, c’est fini. » Ce sont les derniers mots que m’a adressés Roger Taillibert, au téléphone, le 4 septembre dernier. Il est décédé un mois plus tard.

Je vous en fais part, car ils tiennent lieu pour moi d’instructions suprêmes auxquelles je ne saurais me conformer sans votre concours.

Vous savez l’estime que j’ai pour vous et ma reconnaissance pour la somme d’efforts que vous déployez à rétablir le Parc olympique et son stade dans l’estime publique. Vous avez multiplié les gestes propices à rappeler ses origines glorieuses, à rallier la famille olympique avec laquelle d’autres avaient voulu rompre (je pense à ce triste ouvrage La cathédrale inachevée). Sous votre gouverne, les lieux reprennent vie et votre enthousiasme entraîne le gouvernement à vous suivre dans la poursuite de votre mission.

Mais le passé de la Régie des installations olympiques (RIO) a causé de lourds dégâts qui, sans être irréparables, ont figé l’opinion que vous vous employez à travailler.

Ne croyez-vous pas que le meilleur moyen de la faire bouger, cette opinion, voire la rallier à votre cause, soit d’installer le toit qu’avait prévu son concepteur ? Les déboires qu’ont connus vos prédécesseurs dans leur décision de s’en éloigner ont conduit à l’indifférence après l’enthousiasme de départ.

« Épuisée par un long débat, l’opinion accepte qu’on la berne pourvu qu’on la repose », disait Tocqueville, et c’est ainsi qu’on en est venu, à force d’échecs sur des solutions alternatives, à conclure que la solution d’origine devait être abandonnée.

Pourtant, « certes innovante, la solution est basée sur de solides références » affirmait l’ingénieur Jean Roret, qui fut directeur général de la prestigieuse compagnie Eiffel et président de l’Association des ingénieurs et scientifiques de France, dans son analyse du concept original et des modifications apportées par Lavalin. Sur celles-ci, il notait : « Les modifications importantes au projet mécanique ne se justifiaient nullement et constituent l’explication des désordres et des dysfonctionnements constatés, notamment des déchirures de toile. »

Pourquoi ce douloureux rappel ? D’abord pour rendre justice au défunt architecte qu’on n’a même pas consulté sur ces écarts pour ensuite lui imputer nos maladresses. Aussi, parce que ce qui était possible de son vivant apparaît aujourd’hui encore plus abordable.

Le comité-conseil sur l’avenir du Parc olympique formé par la RIO l’affirme lui-même. Dans son rapport, la présidente Lise Bissonnette écrit : « La science des matériaux a fait des bonds fulgurants… En regard de ces défis et découvertes, le problème complexe posé chez nous par le remplacement de la toiture du stade paraît assez modeste. Le comité est convaincu que la solution d’origine doit être explorée à nouveau à la lumière des avancées scientifiques d’aujourd’hui. »

Au lendemain de la mort de Roger Taillibert, saluant l’ouvrage d’art qu’est le stade, l’urbaniste Richard Bergeron déplorait sur les ondes de Radio-Canada qu’on n’ait pas donné à l’architecte sa chance de le terminer. Je crois qu’il exprimait là le sentiment de toute une population.

Si magnifique soit-elle, c’est la fin qui couronne l’œuvre, dit le proverbe, et son sort en dépend. Parmi les invités à ce couronnement, rassurez-nous, cher M. Labrecque, afin que ne soit pas fermée la porte à ceux qui auraient à offrir à ce monument un projet de toiture fidèle à ses origines, sa conception et sa vocation.

*Juge à la retraite du tribunal de la jeunesse de Montréal et ancien membre de l’équipe canadienne de la Coupe Davis

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