Combien de fois encore une société peut-elle être éclaboussée, chavirée, noyée par les vagues déchaînées qu’entraînent les meurtres d’enfants et de conjointes ?

Combien de fois encore une femme et des enfants devront-ils subir l’indicible et être marqués à vie par les longues et profondes blessures laissées par la violence d’un conjoint et d’un père ?

Combien de fois encore un homme sera-t-il persuadé que sa conjointe lui appartient, qu’elle ne peut décider de mettre fin à leur relation et que seule la mort pourra les séparer ?

Je ne sais pas, mais toutes ces histoires qui se déposent en moi (et en nous tous et toutes) me bouleversent et me font vivre une incommensurable impuissance. Et pourtant…

À Option, nous intervenons depuis bientôt 35 ans auprès des personnes qui ont des comportements violents dans leur couple et leur famille. Tous les jours, mon équipe et moi rencontrons des personnes qui exercent à un moment ou à un autre de la violence dans un contexte conjugal et familial. Ces personnes arrivent dans nos services et y déposent leur souffrance, leur mal-être, leur détresse et leurs croyances qui justifient, à leurs yeux, le recours à la violence. Toutefois, la souffrance de l’un ne donne jamais le droit de faire souffrir l’autre.

Pour certains, il s’agit d’une première situation de violence, du résultat d’une escalade de tension mal gérée, d’une façon inadaptée et injustifiable d’exprimer ce qu’ils n’arrivent pas à dire en mots. Pour d’autres, la violence est un mode de fonctionnement qui leur permet de ne pas être en contact avec la peur de l’abandon ou encore un moyen justifié par des croyances profondes.

Selon la gravité, l’intensité, le contexte, l’intention, l’effet de la violence, la présence de facteurs de risque homicides et suicidaires, nos intervenant(e)s offrent à ces personnes des services d’aide et de suivi adaptés.

Dans tous les cas, la violence est un moyen de contrôler la personne ou la situation.

Dans tous les cas aussi, la violence n’est jamais acceptable et elle doit être exposée dans la sphère publique.

Cette lecture de la violence n’est pas partagée par tous les acteurs du milieu et cette fracture idéologique et politique qui dure depuis des décennies nous empêche bien souvent de travailler ensemble pour créer des initiatives concertées visant à assurer la sécurité des personnes impliquées dans une situation de violence.

J’écris aujourd’hui pour inviter tous les acteurs qui travaillent auprès de personnes qui subissent de la violence ou de personnes violentes à s’élever au-dessus de ce débat sémantique, et ce, pour travailler ensemble à mettre en place une cellule d’intervention rapide pour prévenir l’homicide conjugal. À l’heure actuelle, plusieurs villes au Québec ont mis sur pied une telle initiative, mais pas Montréal.

Ce type de collaboration permet notamment de se concerter lorsqu’un(e) intervenant(e) détecte un risque qu’un homicide soit commis. Si ce risque est jugé élevé et immédiat pour la vie ou la sécurité des personnes visées, les partenaires les plus significatifs dans le dossier lèvent le secret professionnel, contactent les services d’urgence et se réunissent rapidement pour mettre en place un plan d’action pour prévenir l’homicide.

Lorsqu’une telle cellule est déclenchée, qu’il y a urgence, que des vies sont en jeu, je peux vous assurer que les querelles sur l’efficacité ou non des thérapies pour conjoints violents et surtout celles sur la définition de la violence conjugale sont le dernier souci des partenaires impliqués.

J’invite donc aujourd’hui toutes les instances impliquées dans le traitement des situations de violence conjugale : les maisons d’hébergement de Montréal, les services de police, les organismes pour personnes ayant des comportements violents, les procureurs, les services sociaux, la Protection de la jeunesse, etc., à mettre de côté les débats idéologiques sur la violence conjugale et familiale et à se relever les manches pour créer des ponts et des collaborations. Car malgré certains points de vue divergents, nous visons tous et toutes le même objectif, soit celui d’assurer la sécurité des personnes victimes de violence, dont les enfants, ainsi que d’offrir aux personnes ayant des comportements violents un espace pour effectuer une démarche de changement.

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