Yvan Godbout risque jusqu’à 14 ans de prison. Pour avoir écrit et publié un roman. C’est une véritable histoire d’horreur !

Chaque étape de cette affaire a pris le milieu du livre par surprise. Chaque fois, ses acteurs se disaient : « C’est pas possible ! Quelqu’un va se réveiller, va retrouver la raison et l’affaire va s’arrêter là. » Eh bien, non ! L’affaire ne s’est pas arrêtée là. Le procès aura bel et bien lieu. 

Avant qu’un innocent soit enfermé, avant qu’une brèche irrémédiable ne soit creusée dans la fragile et si durement érigée liberté de création, nous nous devons d’intervenir.

Nous estimons que les accusations contre l’auteur et sa maison d’édition devraient être abandonnées.

Une enseignante porte plainte

Cette histoire commence en 2018 alors qu’une enseignante qui cherchait un nouvel ouvrage pour ses élèves découvre la collection des Contes interdits. Un passage de Hansel et Gretel la choque. Tellement qu’elle décide de porter plainte à la police. 

Déjà, on n’y croit pas. 

Ce qui est reproché initialement à l’auteur, c’est un court passage (selon le jugement du 5 décembre, le tribunal en dénombre 14), à peine un paragraphe d’une dizaine de lignes sur un roman de 270 pages. Une scène de viol. Rien d’érotique. Le viol d’une enfant. Le lecteur ressent du dégoût pour ce beau-père violeur pour lequel l’auteur déploie une panoplie de surnoms parmi les plus avilissants. Et ce « salaud » se fera éclater le crâne à coups de cendrier par sa victime dans les pages qui suivent. 

Un an après la plainte, le 14 mars 2019, la police arrête Yvan Godbout, l’auteur en question. Quand on vous dit que la réalité dépasse la fiction ! 

À la surprise générale, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a décidé de déposer des accusations formelles contre l’auteur et son éditeur pour production et distribution de pornographie juvénile. De plus, la Couronne a refusé la tenue d’une enquête préliminaire et a demandé à ce que le procès ait lieu devant juge et jury. 

Dans le beau comme dans le laid

Quand une ou un auteur écrit une histoire, elle ou il cherche à raconter la société, à décrire sa beauté ou encore à exposer ses travers. Afin d’engager une discussion, de forcer une réflexion ou simplement pour transporter ses lectrices et ses lecteurs. L’écrivain puise son matériau dans le beau comme dans ce qu’il y a de plus laid. 

Cette poursuite est d’autant plus surprenante qu’il existe une tonne de passages plus graphiques et violents qu’Hansel et Gretel dans la littérature contemporaine et dans les classiques ! 

C’est d’autant plus choquant que cet extrait incriminant se retrouve dans une œuvre qui dénonce les agresseurs sexuels ! 

D’autant plus révoltant, parce que, selon le Code criminel, « nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction au présent article [sur la pornographie juvénile] si les actes qui constitueraient l’infraction : a) ont un but légitime lié à l’administration de la justice, à la science, à la médecine, à l’éducation ou aux arts ». 

Cette poursuite n’aurait jamais dû avoir lieu. 

Le DPCP décidera-t-il de s’attaquer aux libraires qui ont vendu Hansel et Gretel et de les accuser de distribution de pornographie juvénile ? Les milliers de lecteurs et lectrices de Godbout pourraient-ils être, eux aussi, accusés de possession de pornographie juvénile ? 

Dicter ce qui peut être lu, pensé et critiqué, voire ce qui doit être réécrit ou supprimé, est une pente glissante. Devrons-nous revoir le contenu de nos bibliothèques afin de les purger des œuvres susceptibles d’offenser le premier venu ? Que pourrons-nous oser écrire ? Qui nous le dictera ? 

En d’autres mots : devons-nous craindre un retour de l’Index ? 

Que cherche la justice en criminalisant le roman d’Yvan Godbout ? À en faire un exemple ? À restreindre la liberté d’expression ? Car une condamnation aurait des conséquences bien réelles sur la liberté d’expression de tout un chacun.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteur Yvan Godbout (à gauche)

Nous verrions assurément les autrices et les auteurs s’autocensurer, éviter les thèmes plus controversés, les scènes un peu trop graphiques de peur de s’attirer les foudres de la justice. Les éditeurs refuseraient les manuscrits moins consensuels afin d’éviter de coûteuses poursuites. 

Du reste, Yvan Godbout et les Éditions AdA subissent présentement les contrecoups dramatiques de cette poursuite : centaines de milliers de dollars en frais d’avocats, réputations ternies, dépressions… 

Seuls, ils n’ont ni les armes ni la force d’affronter ce monstre judiciaire qui les talonne inexplicablement. Leur seul recours, c’est notre voix.

Consultez la liste des signataires

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion