Small talk : Anglicisme décrivant un type de discours informel ayant la fonction sociale de meubler le silence par des banalités, afin de détendre l’atmosphère et de créer un climat agréable. Par exemple : « Salut mon brave ! Quelle belle journée ensoleillée, n’est-ce pas ? » Ou encore : « Pas vargeux, les performances du Canadien ces temps-ci. Ils devraient donner plus de temps de glace au quatrième trio. »

Dans l’esprit de notre premier ministre François Legault, cela pouvait aussi inclure le fait de rappeler fièrement son appartenance à un groupe religieux majoritaire, après avoir adopté sous bâillon une loi brimant les droits des autres groupes. « Vous êtes catholique ? Moi aussi. Tous les Canadiens français le sont », a-t-il confié à son homologue californien, Gavin Newsom, lors d’une rencontre dont l’objectif était de consolider un partenariat autour de la bourse du carbone. Quoi de mieux que de sceller son alliance contre les gaz à effet de serre entre bons catholiques !

On a fait grand cas de la bourde diplomatique de Justin Trudeau, lorsqu’il s’est fait prendre à dire tout haut ce que l’on pense tout bas de Trump devant ses amis Anne, Boris, Emmanuel et Mark. On semble moins s’énerver des menus propos qu’a échangés Legault avec son interlocuteur californien. Les relations canado-américaines sont certes importantes, mais la profession de foi de Legault est autrement révélatrice d’une conception datée de l’identité québécoise et du peu de considération que ce dernier entretient à l’égard de tout un pan de la population qu’il est censé desservir. 

Les Québécois, ou, comme on les appelle parfois dans le monde anglo-saxon, les French Canadians, sont en effet majoritairement catholiques. On estime que 75 % de la population québécoise adhère – de manière plus ou moins investie, disons-le – à cette croyance religieuse. Ça ne fait pas de « tous » les Canadiens français des catholiques, et c’est encore moins le cas des Québécois. Ceux-ci incluent – rappelons-le puisque ça semble nécessaire – tous les citoyens du Québec.

Par cette déclaration, c’est comme si François Legault confirmait qu’il était uniquement le premier ministre des catholiques.

Or, c’est déjà assez gênant que la majorité prenne des décisions ayant surtout des conséquences pour les minorités, il me semble que quand ça arrive, elle devrait se garder une gêne. Imaginons que dans un revirement étrange mais pas impossible, les minorités sexuelles faisaient l’objet d’une loi discriminatoire, sous quelque prétexte fallacieux que ce soit, adoptée par un gouvernement dont les membres participeraient allègrement au défilé de la fierté hétéro. Ou diraient, pour se rendre sympathiques aux yeux de leurs vis-à-vis, qu’ils sont, eux aussi, hétéros, comme tous les Québécois !

PHOTO TOMMY CHOUINARD, LA PRESSE

Le premier ministre François Legault (à droite) a rencontré mercredi le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, à Sacramento.

Cette communion faite en toute légèreté trahit tout l’esprit catho-laïc du gouvernement Legault. Pour justifier une loi qui brimerait l’accès à l’emploi de minorités religieuses, on nous a martelé qu’il n’était pas question de discriminer qui que ce soit en fonction de sa religion, mais de rendre l’État laïc en demandant à ses représentants en position d’autorité de ne pas afficher leur appartenance religieuse. C’est pourtant exactement ce qu’a fait la personne représentant la plus haute fonction du Québec.

On nous dit que les enseignantes doivent afficher une neutralité religieuse, que c’est important pour rappeler que la religion n’a pas sa place dans les affaires de l’État.

Mais pourquoi alors ne remet-on pas en question la neutralité religieuse de celui qui a mis cette loi de l’avant et qui se plaît à afficher ses croyances de manière aussi décontractée ?

Outre les relents passéistes de cet enchaînement des Canadiens français au catholicisme, c’est le contraste entre la légèreté du ton et la gravité du sujet qui choque. Cela révèle la déconnexion de notre premier ministre entre ses décisions et leurs conséquences sur des personnes bien réelles, majoritairement des femmes, qui sont discriminées à l’emploi.

On ne peut pas parler de manière aussi désinvolte d’un sujet qui divise aussi profondément la population québécoise, et qui a des répercussions aussi graves sur des individus aussi vulnérables. Les droits des minorités ne devraient pas faire l’objet de small talk.

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