À Madrid, l’ONU et les militants pour le climat ont demandé aux gouvernements de rehausser leurs objectifs en termes de réduction du carbone. Pendant ce temps, au Canada, on se demande comment faire pour tenir les engagements que nous avons déjà pris à Paris en 2015, mais que nous ne sommes pas en voie de réaliser.

Question lancinante : quel prix faudrait-il mettre sur l’émission d’une tonne de carbone pour inciter les Canadiens à modifier suffisamment leurs comportements pour atteindre les objectifs de réduction ? À l’été 2019, le droit d’émettre une tonne de GES s’échangeait autour de 23 $ sur le marché québécois du carbone. Selon la politique fédérale, le prix minimum doit passer à 50 $ la tonne en 2022. La Commission de l’écofiscalité a calculé que ce prix devrait atteindre 210 $ la tonne en 2030 pour que le Canada puisse tenir ses engagements.

À 20 $ la tonne, la taxation actuelle du carbone équivaut à 4,4 cents le litre d’essence. À 50 $ la tonne, le prix de l’essence augmenterait de 7 cents le litre. À 210 $ la tonne, il augmenterait de 42 cents le litre. Un plein d’essence pour une berline moyenne passerait ainsi d’environ 75 à 100 $.

Dès lors se pose la question : quel prix les Québécois et les Canadiens sont-ils prêts à payer pour limiter les changements climatiques ?

Autrement dit : quel est le prix de nos convictions ? Minoritaire, le gouvernement Trudeau vient de reporter de deux ans le moment auquel il devra répondre à cette question. Un an après l’effet de toge du Pacte pour la transition, une saison après l’euphorique marche pour le climat, l’on pourrait penser que le fruit est mûr. Ou peut-être pas : en décembre 2018, un sondage a trouvé que seulement 40 % des répondants étaient prêts à payer le litre d’essence plus cher en raison de cette taxe. Aux dernières élections fédérales, le principal porteur de l’idée de taxer le carbone, soit le Parti libéral du Canada, a perdu des voix et des sièges, notamment dans les circonscriptions périurbaines et rurales.

Dans ces conditions, vaut-il mieux renoncer à l’idée de taxer davantage le carbone, trop impopulaire, et compter plutôt sur les deux autres outils de politique publique, soit la réglementation applicable aux industries (ex. : cimenteries) et les subventions à l’achat de produits écoénergétiques (ex. : voitures électriques) ? Les coûts de la réglementation et des subventions sont moins visibles aux électeurs. Selon la Commission de l’écofiscalité, ce serait là une erreur coûteuse, car ces deux autres outils sont moins efficients que la taxation.

Un champ de mines politique

Mais pour se prévaloir de l’outil de premier choix, les gouvernements devront trouver un chemin à travers un champ de mines politique. En France, le mouvement « ras le bol » des gilets jaunes fut déclenché par la hausse de la taxe sur les produits énergétiques.

Le défi consiste donc à concevoir la taxation du carbone de manière à la rendre acceptable à une majorité durable de l’électorat canadien – sans entraîner à sa perte le parti politique qui s’en fera le porteur.

Le premier engagement à prendre pour atténuer l’opposition à une taxation accrue du carbone est qu’elle n’alourdira pas le fardeau fiscal global des contribuables.

Cent pour cent des recettes additionnelles qu’elle générerait devraient donc leur être retournées sans condition.

C’est l’approche qu’a prise la Colombie-Britannique dès 2008. De son côté, le gouvernement Trudeau s’est engagé à remettre aux particuliers 90 % du produit de la taxe sur le carbone dans les quatre provinces où elle s’applique.

Un buffet ouvert

Cette approche en circuit fermé n’est pas celle qu’a prise le Québec jusqu’à présent. Quand le gouvernement Charest a instauré la « redevance sur les carburants et combustibles fossiles » en 2006, les recettes sont allées dans le Fonds vert destiné à financer des dépenses publiques associées aux changements climatiques. On connaît la suite : le Fonds vert est devenu un « buffet » où se sont servis les ministères et organismes cherchant à financer des projets dont l’impact sur la réduction des GES était souvent discutable, parfois marginal.

La réforme du Fonds vert proposée par le gouvernement caquiste ne s’écarte pas de l’approche du PLQ.

Elle déplace vers le ministre de l’Environnement le pouvoir de choisir les projets financés par le Fonds vert, en change le nom, mais maintient le choix fondamental d’utiliser le produit de la taxation du carbone pour financer des dépenses ou des investissements publics reliés aux changements climatiques, plutôt que de le retourner aux contribuables.

Le second engagement à prendre pour rendre la taxation accrue du carbone politiquement viable est de moduler le retour selon le lieu de résidence et l’occupation. S’il était uniforme, les résidants des villes-centres, où le transport collectif est plus développé, seraient favorisés par rapport à ceux des banlieues et des zones rurales où l’usage de l’automobile est plus répandu, plus intensif et souvent inévitable.

Une taxation accrue du carbone, d’application générale, devrait donc être accompagnée d’un avantage fiscal ou d’un transfert à l’avantage des groupes territoriaux (les banlieusards, les ruraux) ou occupationnels (par exemple les métiers de construction qui ont besoin d’une fourgonnette). Ainsi, l’effet net de la réforme serait à peu près neutre pour chacun de ces groupes d’électeurs, de prime abord. Les gens auraient quand même intérêt à réduire leur empreinte carbone afin d’éviter la taxation additionnelle tout en bénéficiant du retour inconditionnel.

Pour être politiquement viable, une taxation accrue du carbone devrait être acceptable aux électeurs, non seulement dans les circonscriptions urbaines de Montréal, Québec, Ottawa ou Toronto, mais aussi au pays des Dodge Caravan et des F-150.

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