« As-tu entendu la nouvelle ? » «  Es-tu en sécurité ? » « Mais comment cela a-t-il pu se produire ? »

Nous ne comptons plus le nombre de nos amies et collègues qui se rappellent leur première réaction, le 6 décembre 1989, lorsqu’elles ont appris que 14 femmes (presque toutes des étudiantes en génie) avaient été abattues à l’École polytechnique de Montréal.

Nous nous rappelons avoir estimé que 3 % des étudiantes canadiennes en génie mécanique étaient mortes ce jour-là. À cette époque, toutes les femmes inscrites en génie étaient des pionnières. Plusieurs avaient choisi cette discipline même si on leur avait dit qu’elles ne seraient pas admises ou qu’elles échoueraient.

Aujourd’hui, bon nombre de nos étudiantes et étudiants restent perplexes devant l’émotion qui nous envahit chaque année à l’approche du 6 décembre.

L’amalgame entre violence contre les femmes et études en génie est étranger à leur réalité. La leur est plutôt faite de camaraderie, d’une fascination pour la façon dont les choses marchent et d’une passion commune pour la création d’un monde meilleur. Cette réalisation nous remplit de gratitude et nous réjouit.

Et pourtant, cette date reste gravée dans nos mémoires. Certaines choses n’ont pas changé.

Par exemple, lorsqu’une étudiante se rend compte pour la première fois qu’elle est la seule femme dans la salle de cours et se demande si c’est vraiment là sa place ; ou encore, la grimace que nous avons échangée en apprenant que la NASA n’avait prévu qu’une seule combinaison spatiale de petite taille – ce qui a retardé la première sortie d’un tandem entièrement féminin dans l’espace.

Malgré tout, notre travail comme ingénieures nous remplit d’une joie immensément plus grande que les frustrations occasionnelles que nous éprouvons.

En tant que doyennes et responsables de programmes de formation en génie, nous sommes tous les jours témoins du talent de nos étudiants et étudiantes et de la passion qui les anime. Lorsque l’un d’eux réussit un examen de mi-session ou remet un travail exceptionnel après un travail assidu, nous applaudissons intérieurement et partageons sa joie le jour de la remise des diplômes.

Chaque année, néanmoins, nous sommes rappelées au souvenir d’une journée dont l’ombre continue de planer sur nos campus.

Animée par une foi en un avenir meilleur, l’association Doyennes et doyens ingénieurs Canada s’est donné pour mission d’attirer dans la profession une population représentative des communautés que nous servons.

Nous aspirons non seulement à faire du génie une discipline inclusive et accessible, mais aussi à ce que le Canada bénéficie d’un corps professionnel diversifié tant sur le plan de la pensée que de ses contributions et ses pratiques.

Tracer la voie

Cette année, nous voulons rendre hommage aux femmes qui étudiaient dans une école de génie en 1989 ou qui venaient d’obtenir leur diplôme. Après avoir traversé l’épreuve de la fusillade, elles ont persévéré. Elles ont bâti et accompli de grandes choses et assumé généreusement le rôle de mentores auprès de toute une génération d’ingénieures et d’ingénieurs. Elles ont tracé leur voie au sein d’une profession exigeante, mais qui donne beaucoup en retour.

Si nous voulons raconter leurs histoires, c’est pour nous permettre d’avancer au-delà de la perte que représente la disparition de ces jeunes vies.

Nous voulons braquer les projecteurs sur les réalisations rendues possibles grâce aux autres vies que la tragédie a touchées, mais aussi épargnées. Ces récits, nous les avons partagés depuis un mois sur les médias sociaux (en créant le mot-clic #30ansplustard) et les avons réunis dans un site web permanent.

Les efforts entrepris pour atteindre l’équilibre des sexes dans notre domaine donnent des résultats. Aujourd’hui, 88 000 jeunes étudient en génie dans un programme de premier cycle au Canada – et 22 % sont des femmes.

Le visage de la profession

Il nous reste aussi beaucoup à faire. Dans notre volonté de diversifier le visage de la profession, nous nous engageons à transformer nos programmes de manière à situer les défis techniques en fonction d’une société plurielle, puisque le génie est par essence au service de la population.

Nous avons réaménagé nos bâtiments et nos salles d’études pour les rendre plus accueillants. La conception est au cœur de la pratique du génie. En créant des espaces d’apprentissage mixtes, nous incitons nos étudiants et étudiantes non seulement à interagir socialement, mais aussi à collaborer pour résoudre des problèmes. Ils se réunissent souvent pour travailler en équipe dans des atriums consacrés à cette fin, inondés de lumière naturelle, ou dans des ateliers de fabrication spécialisés.

L’équité, la diversité et l’inclusion doivent guider tout ce que nous entreprenons dans nos universités et nos lieux de travail de la même façon que la santé et la sécurité au travail font désormais partie intégrante de notre culture. Ces principes sont en voie de devenir un critère dans la planification de nos programmes de cours et des projets d’études.

Aujourd’hui, nous commémorons la mort tragique et inutile, il y a 30 ans, de 14 jeunes femmes. Votre souvenir nous accompagne à jamais et nous motive à continuer de faire avancer notre profession.

* Mary Wells a obtenu son premier diplôme d’ingénieure à l’Université McGill en 1987, et Suzanne Kresta, à l’Université du Nouveau-Brunswick en 1986.

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