Le proverbe bien connu est africain. Il faut tout un village pour éduquer un enfant. Il s’applique sans contredit aux Premières Nations et aux Inuits.

— C’était comment d’être un enfant dans une réserve ?

— Comme ailleurs peut-être. Comment c’était d’être un enfant à Lachine ?

À cette question, je ne pouvais pas prendre Wendake à témoin, je le peux rarement d’ailleurs, à part peut-être les marches en raquettes en forêt ou les balades en canot. Mais j’ai aussi vécu dans une autre communauté, rurale celle-là. Puis j’ai pu séjourner dans une trentaine d’autres.

J’ai vu des enfants qui jouaient dans le sable devant leur maison sur un terrain non gazonné avec des bouts de bois ou des roches qui leur servaient de petites autos ou de figurines. J’ai vu des balançoires faites avec de vieilles cordes de bateau et des planches de bois à titre de siège qui ne passerait pas l’inspection.

J’ai vu des sourires, entendu des cris, des pleurs. Des maisons silencieuses aussi, vidées de leurs enfants. En fait, 15,4 % des enfants placés en famille d’accueil au Québec sont autochtones. Ils représentent pourtant moins de 2 % de la population de la province.

J’ai vu des voisins, des cousins, des tantes prendre soin d’enfants qui n’étaient pas les leurs comme si cela avait été le cas.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le village de Puvirnituq

J’ai vu un ami de la famille prendre du temps pour patiemment expliquer à un garçon de 9 ans que ce sont les aînés qui doivent être servis en premier lors des festins et surtout pourquoi. J’ai vu ledit garçonnet retenir la leçon par la suite. Ou encore une voisine prendre soin d’une petite mal en point, une grand-mère bercer et apaiser un poupon en crise comme si c’était son petit-fils, lui chantant de douces berceuses en mohawk. Et puis l’arrière-grand-mère m’expliquant que ça se passait comme ça il n’y a pas longtemps, que c’était la famille ou les voisins qui s’occupaient des enfants en difficulté, avant que les services sociaux se pointent.

— Il faut absolument que tu chroniques sur la commission Laurent.

— Ah oui ? Tant que ça ?

— C’est terrible. Je ne manque pas une minute. Et les libéraux qui coupaient sans cesse dans les services sociaux !

—…

— Il y a 100 000 enfants placés chaque année. Aucun sens ! Regarde, je te dis !

J’ai regardé. Une commission typique. Formelle. Un ourson sur le site web pour rappeler de quoi on parle. Je me suis particulièrement intéressée aux enfants autochtones.

Deux dames, membres du Comité sur le système de justice au Nunavik, témoignaient. L’une d’elles dut même interrompre la commissaire pour être entendue. « Désolée, mais je voudrais aussi avoir la chance de répondre aux questions posées. Notre réalité au Nunavik est bien différente de celle du Sud près de la frontière. » J’ai aperçu un sourire ou deux autour de la table.

Lucie Grey, Inuk, parle avec assurance de sa réalité dans le Nord québécois. Depuis 1975, année de la ratification de la convention de la Baie-James et du Nord québécois, les Inuits demandent que les travailleurs sociaux, avocats, psychologues et autres intervenants qui interagissent avec des enfants inuits ou issus des Premières Nations soient formés au contexte socioculturel de ces peuples. Ce point se veut d’ailleurs l’une des mesures inscrites au sein même de cette convention. Pas une recommandation, une mesure devant être implantée, ratifiée par tous les partis. Ils attendent toujours, 45 ans plus tard.

Ce besoin de formation des intervenants ou des fonctionnaires travaillant en milieu autochtone, on le retrouve aussi, ou quelque chose de très similaire, dans les rapports de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), la Commission de vérité et réconciliation (2015), l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées (2019) et la commission Viens (2019), pour ne nommer que ceux-là.

À l’inverse, les Inuits ne connaissent pas le système de protection de la jeunesse québécoise ou le système de justice. Faut-il rappeler que le Nunavik fait partie du Québec depuis 1912, mais que ce n’est que dans les années 50 que le Québec a véritablement commencé à implanter ses politiques et ses lois tout au nord, notamment le massacre des chiens de traîneaux et l’implantation des pensionnats ? Je me garderai un commentaire sur le sujet, mais vous saurez sans doute lire entre les lignes.

Quoi qu’il en soit, les parents et grands-parents du Nunavik ne connaissent pas leurs droits. Les conséquences de cette méconnaissance sont beaucoup plus importantes qu’on ne pourrait le croire.

Chaque problème que le Québec connaît en matière de droits des enfants et de protection de la jeunesse est décuplé au-delà du 55e parallèle. Les délais sont extrêmement longs, il n’y a pas d’avocats, de juges. Il y a un manque de financement, de volonté, de compréhension mutuelle.

Mme Grey doit même rappeler que comme les autres, les Inuits sont des citoyens du Québec qui paient leurs taxes et impôts, et qui, techniquement, devraient avoir droit aux mêmes services.

Parfois, offrir des services similaires demande un peu plus d’efforts. C’est la différence entre égalité et équité.

Rappelons aussi que la commission Laurent a été créée par un décret qui stipule que la commission doit en tout temps tenir compte de la réalité autochtone, entre autres, en se basant sur les rapports existants.

À entendre la commissaire Laurent, je ne doute pas qu’ils le feront. Encore.

C’est d’ailleurs la réaction qu’ont eue plusieurs leaders autochtones à l’annonce de cette énième commission. Le message tenait en gros à ça : « Nous ne voulons pas recommencer le travail. Nous vous avons tout dit. Soutenez-nous maintenant. »

Quand une mère de famille ne comprend même pas pourquoi des gens entrent dans sa maison pour prendre ses enfants, c’est signe qu’il y a un énorme bout de chemin à faire. Un travail en amont de la rivière. Peut-être que si tout le village s’y mettait…

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion